Romain Gary : Manier l'autodérision
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Un homme entre sur scène. Il a répété avec sa troupe le spectacle comique qu’il va jouer ce soir. Les précédentes représentations se sont très bien passées.
Mais aujourd’hui, c’est spécial. Il va jouer devant un personnage très important.
Alors, il a mis les moyens pour impressionner son invité et lui faire passer un bon moment.
On imagine qu’il a passé un temps infini à réaliser avec ses camarades les prospectus pour promouvoir le spectacle, fignoler les costumes et le décor ne ménageant pas sa peine.
5 minutes se passent. 10 minutes, 15 minutes, 45 minutes depuis le début du spectacle, pas un rire dans le public. Le four, le bide, la catastrophe.
Et surtout, l’invité prestigieux ne décroche pas un sourire.
L’homme se rend compte au bout d’une heure que le public ce soir assiste à deux spectacles. Le sien sur scène et le second dans le public. L’enthousiasme de l’invité de la soirée est aussi muet que son ennui est criant.
C’est le chef. Alors, le public se met au diapason.
Soudain, LA révélation.
L’acteur se rend compte qu’il a passé un temps infini à bricoler le décor, fignoler des costumes mais hélas assez peu sur l’adéquation entre son spectacle et l’humeur probable de celui qu’il reçoit.
Cet épisode fut raconté bien des années après par son héros malheureux lui-même, de son aveu meilleur écrivain qu’acteur, dans son roman “La Promesse de l’aube”.
Romain Gary ce soir de 1941 à Bangui s’est donc tapé bides sur bides devant le Général de Gaulle.
Ce dernier ne lui en voudra pas.
Peut-être qu’il n’a jamais fait le lien entre cette soirée gênante, le jeune résistant en difficulté sur scène et le diplomate devenu consul général bien des années plus tard et finalement prix Nobel de littérature.
“On l'avait jouée deux fois devant le public et on s'était préparé pour la première avec beaucoup d'assurance parce qu'on a eu un succès fou. Les gens se tordaient de rire. Et puis de Gaulle arrive. On fait donc la grande première avec les notables et aussi beaucoup de public et il se met au premier rang.
Il nous regarde, et, il n'y a pas eu un seul rire pendant le spectacle. C'était la statue du commandeur qui regardait les libertins sur la scène et qui ne se marrait absolument pas. Les gens de dos ont senti que de Gaulle ne riait pas, et ils ne riaient pas non plus. C'était le bide le plus total.
Il les avait glacés par son dos. Je ne sais pas comment il faisait, il devait avoir des rayons spéciaux, mais il a complètement foutu le spectacle en l'air.” Romain Gary, in “La Promesse de l’aube”.
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🧠 Food for thought
Visiblement, Romain Gary et sa troupe ont oublié de se poser une question.
Certes, les camarades du soldat Gary ont goûté à l’humour moyennement subtile du spectacle. Mais de Gaulle allait-il lui-même apprécier l’exercice ? Intuitivement, on imagine l’homme du 18 juin peu porté sur le comique troupier.
Disons que la petite histoire confirme cette intuition.
📺 Une vidéo bonus
Une vieille édition d’ “À voix nue” avec comme invité Romain Gary :
ℹ️ Sources
“La Promesse de l’aube”, Romain Gary