De quand date la France ?
De quand date la France ? Quelles sont les étapes importantes de sa naissance ? Réponse en trois actes.
Si vous souhaitez marquer votre soutien à Morale de l’Histoire, c’est possible en souscrivant à un abonnement mensuel(le prix de 3 ☕️ par mois) ou annuel (2 ☕️ par mois). Un grand merci à ceux qui le feront !
J'ai posé cette question à mon moteur de recherche préféré quelques semaines avant la rédaction de ce chapitre. Imaginez mon étonnement lorsque je vois apparaître sur l'écran de mon smartphone la réponse mise en exergue par Google : le 4 octobre 1958.
Ainsi, c'est le début de la Cinquième République qui marque la naissance de la France selon le géant de Mountain View. On peut en rire. Mais en vérité cette question n'appelle aucune réponse évidente. Certains considèrent que c'est le règne de Clovis qui marque la naissance de notre pays. D'autres situent cette origine au règne d'Hugues Capet ou à l'épopée de Jeanne d'Arc.
Je vous propose dans ce chapitre d'éclaircir les réponses possibles à cette question en reprenant quelques étapes clés de la gestation de la nation française. Pour cela je me suis reposé en grande partie sur l'Histoire de France de Jacques Bainville.
Avant la France, la Neustrie et la Francie
Louis VI rédige en 1119 à l'intention du pape Calixte II une lettre dans laquelle il se proclame :
Roi de la France, non plus des Francs, et fils particulier de l'Église romaine.
Nous sommes en 1119 et pour la première fois dans un texte officiel, notre pays est nommé : France. Cela deviendra une habitude sous Philippe Auguste dès 1203. Et oui, bien après le règne de Clovis. Car la France naît d'abord par sa langue lors du serment de Strasbourg en 842. C'est en langue romane — le français sous sa première forme — qu'est rédigé, afin d'être compris, le serment que Louis le Germanique adresse aux troupes de Charles le Chauve1. Vingt-huit ans après la mort de Charlemagne, ses héritiers n'arrivent pas à s'entendre pour pérenniser l'immense empire carolingien. Jacques Bainville nous l'explique dans son Histoire de France :
Lothaire, l'aîné, voulait maintenir l'unité de l'Empire. Charles le Chauve et Louis le Germanique se liguèrent contre lui. C'était déjà plus qu'une guerre civile, c'était une guerre de nations2.
Un an plus tard, le traité de Verdun entre Charles le Chauve, Lothaire et Louis le Germanique dessine les premières frontières de ce qui deviendra l'Italie, l'Allemagne et notre pays.
Bainville poursuit :
La Paix, qui fut le célèbre traité de Verdun, démembra l'Empire (843). Étrange partage, puisque Louis avait l'Allemagne, Lothaire une longue bande de pays qui allait de la mer du Nord jusqu'en Italie avec le Rhône pour limite à l'ouest, tandis que Charles le Chauve recevait le reste de la Gaule3.
Mais il est encore trop tôt pour parler de France. La famille des Robertiens, que l'on nommera ensuite Capétiens, joue un rôle essentiel en construisant règne après règne le pays que nous connaissons, et cela pendant presque neuf siècles, d'Hugues Capet (987) à Louis-Philippe (1848). Et pourtant, comme nous allons le voir, les choses n'allaient pas de soi.
Hugues Capet revient sur la coutume pour mieux pérenniser le royaume
Hugues appartient à la famille des Robertiens. Son grand-père, Eude, s'illustre lors du siège de Paris par les Vikings (885-887) en défendant vaillamment la ville contre les assauts des hommes de Siegfried. Charles III, résistant trop mollement aux hommes du Nord — les Normands —, est déchu de son trône. Eude devient roi des Francs en 888 et brise une première fois la continuité dynastique des héritiers de Charlemagne, les Carolingiens. Cette entaille ouvre la voie à un changement définitif de dynastie un siècle plus tard.
Mais il faut tout de même un peu de malice et de chance pour qu'arrive le temps des Capétiens. Hugues Capet devient roi en 987, élu par les seigneurs de Francie à la suite de la mort — accidentelle ? — du Carolingien Louis V lors d'une partie de chasse. En plus d'une certaine chance, Hugues bénéficie du soutien intéressé de l'évêque Aldabéron de Reims.
L'affaire n'alla pas toute seule. Hugues trouva heureusement un allié. Adalbéron, archevêque de Reims, avait eu de graves difficultés avec Lothaire qui l'avait accusé de trahison. Son procès durait encore. Hugues fit proclamer son innocence à l'assemblée de Senlis et, séance tenante, Adalbéron, acquitté, proposa que le duc de France fût nommé roi à titre provisoire4.
Tout roi qu'il est, sa légitimité et son autorité demeurent faibles. À l'occasion d'un échange avec l'un de ses vassaux qui lui désobéit, Hugues lance :
« Qui t'a fait comte ? »
La réplique fuse :
« Et toi, qui t'a fait roi ? »
Mais Hugues, déjà âgé de quarante-sept ans au moment de son sacre, voit loin et tire les conséquences de l'échec des Carolingiens à consolider un royaume. Quitte à transgresser les coutumes franques, notamment celle qui consiste à diviser le territoire du roi à sa mort en autant de parts que de fils. Le sort de chaque empire était donc d'être divisé et celui de chaque conquête territoriale d'être « annulée » par les conflits inévitables entre les héritiers. C'est ainsi que l'empire de Charlemagne est divisé en trois après le règne de Louis le Pieux, son fils.
Hugues met fin à cette coutume et applique le principe de la primogéniture : l'aîné de ses fils prendra la succession de son père. Les autres constituent une armée de réserve. On n'est jamais trop prudent. Ainsi, Robert, alors âgé de quinze ans, sera sacré la même année que son père afin d'être associé à la couronne. Il deviendra Robert II et prendra la succession de son père en 996. Hugues Capet établit une nouvelle tradition assurant la stabilité nécessaire au royaume pour durer.
Mais l'édifice est fragile et le territoire royal restreint.
Philippe Auguste unit le pays autour des conquêtes
Philippe Auguste sait ce qu'il veut. Bainville décrit ainsi celui qui régna presque quarante-trois ans :
Chez lui tout était volonté, calcul, bon sens et modération. En face de ces deux fous furieux, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, [...] Philippe Auguste représente le réalisme, la patience, l'esprit d'opportunité5.
C'est un conquérant réfléchi et efficace, concentré sur ses objectifs. Rien ne le dévie de son ambition de chasser les Plantagenêts6 hors du royaume. Même pas les croisades auxquelles il participe parce qu'il est « convenable d'y aller », comme l'écrit Bainville, mais qu'il quitte très rapidement pour revenir au pays.
Il suffit d'observer une carte pour se rendre compte de l'importance du travail accompli en quarante ans. La dynastie anglaise ne possède plus qu'une petite partie du territoire. Les successeurs de Philippe Auguste se chargeront de finir le travail.
Les victoires du roi capétien inquiètent le reste de l'Europe, plus particulièrement l'empereur allemand Otton IV, Jean sans Terre, les comtes de Flandres et de Boulogne et le duc de Brabant. Une première alliance se construit pour battre le Capétien. Le 27 juillet 1214, à Bouvines, les 7 000 soldats de Philippe Auguste doivent contrer les 9 000 hommes de la coalition emmenée par Otton IV. Malgré cette infériorité numérique, la victoire française est totale, la déroute de la coalition aussi. À tel point que Paris fête son souverain pendant six jours.
On forcerait à peine les mots en disant qu'il convoqua ses Français à la lutte contre l'autocratie et contre la réaction féodale, complice de l'étranger. Il y a plus qu'une indication dans les paroles que lui prête la légende au moment où s'engagea la bataille de Bouvines : « Je porte la couronne mais je suis un homme comme vous. » Et encore : « Tous vous devez être rois et vous l'êtes, par le fait, car sans vous je ne puis gouverner. » Les milices avaient suivi d'enthousiasme et, après la victoire qui délivrait la France, ce fut de l'allégresse à travers le pays. Qui oserait assigner une date à la naissance du sentiment national ?7
Philippe Auguste s'éteint le 14 juillet 1223. Cela ne s'invente pas. Mais il manque encore au royaume un état plus moderne et moins féodal.
Philippe Le Bel se détourne de la féodalité pour construire l’état moderne
Philippe le Bel est un audacieux comme le prouve l'épisode d'Anagni.
En plein conflit avec le pape Boniface VIII, coupable d'ingérence dans les affaires du royaume, Philippe le Bel décide d'envoyer à Rome son Chancelier afin de négocier. Mais les choses ne se passent pas comme prévue :
Boniface VIII, qui avait une grande force de caractère, n'était pas homme à céder. Il maintint sa prétention de convoquer à Rome un concile pour juger le Capétien et « aviser à la réforme du royaume ». Philippe le Bel était menacé d'excommunication s'il refusait de laisser partir pour Rome les prélats français. Toutefois, il chercha à négocier. Sa nature le portait à épuiser les moyens de conciliation avant de recourir aux grands remèdes. C'est seulement quand il vit que le pape était résolu à l'excommunier et à user contre lui de ses forces spirituelles ce qui eût peut-être amené un déchirement de la France, que Philippe prit le parti de prévenir l'attaque et de frapper un grand coup. Il était temps, car déjà la parole pontificale agissait et le clergé, les ordres religieux, les Templiers surtout, hésitaient à suivre le roi et à donner tort à la papauté. C'est alors que le chancelier Guillaume de Nogaret se rendit à Rome, trouva Boniface VIII à Anagni et s'empara de sa personne. Délivré, le pape mourut d'émotion quelques jours plus tard (1303). Cette audace, cette violence étonnèrent l'Europe. On avait vu un César germanique s'humilier à Canossa devant Grégoire VII. Le roi de France triomphait8.
Jaloux de ses prérogatives et de l'indépendance du pays, ses efforts se portent sur la centralisation administrative du royaume. On lui doit le Parlement chargé des affaires judiciaires, la création du garde des Sceaux ou de la Chambre des comptes. Ce sont autant de « domaines réservés » arrachés progressivement des mains des petits et grands seigneurs dont les fiefs étaient jusqu'ici les multiples cœurs de la gouvernance du pays. Son règne de 1285 à 1314 marque le début de la fin de la féodalité. Le territoire est uni par sa langue, sa religion, un état fort et centralisateur et une incarnation en la personne du roi.
Conclusion
Découper l’histoire en plusieurs mouvements permet d’en saisir toute la complexité. La France n’est pas née d’un coup : comme le souligne Éric Anceau dans Histoire de la Nation Française, elle est le fruit d’une sédimentation progressive, ponctuée de moments charnières où son identité s’est affirmée pour se consolider avec la Révolution Française et les Lumières.
Revenons au discours de Renan sur la définition de la nation. La création d'une nation passe pour une bonne partie par la somme des souffrances qui nous amène à faire cause commune et par l'oubli au fil des générations des oppositions9. Derrière les quatre siècles d'histoire couverts dans ce chapitre et les personnages qui en occupent la tête d'affiche, se trouve un peuple qui a participé, la plupart du temps bien involontairement, aux tumultes imposés par les circonstances, obligé de combattre lors de batailles opposant les uns aux autres.
Au fond, c'est quand la bataille est terminée et que le souhait de construire un avenir commun se développe que naît la France, quand ce “plébiscite de tous les jours”, comme le dit Renan, se produit.
À bientôt !
Si vous identifiez des erreurs, merci de m'informer par e-mail en répondant à ce message.
Alexandre
Pour aller plus loin :
Histoire de France, Jacques Bainville
Histoire de la nation française, Eric Anceau
Hugues Capet élu roi des Francs
Philippe Auguste : l’inventeur de la nation Française
Philippe IV le bel : un roi administrateur
Ce n'est qu'avec le traité de Villers-Cotterêts (1539) que le français est choisi comme langue administrative et juridique du royaume.
Jacques BAINVILLE. Histoire de France. Paris : Editions Perrin, 2011, p. 43.
Ibid., p. 64.
Ibid., p. 50.
Ibid., p. 64.
Maison royale régnant en Angleterre et sur une partie du territoire français.
Jacques BAINVILLE. Histoire de France. Paris : Editions Perrin, 2011, p. 66.
Ibid., p. 78.
« La souffrance en commun unit plus que la joie ». Ernest RENAN. Qu'est-ce qu'une nation ? Paris : Flammarion, 2011, p. 75.
Réponse de Perplexity : le 22 septembre 1792. Ce jour-là, la Convention nationale a décrété l’abolition de la monarchie et la proclamation de la Première République. Que ce soit moteurs de recherches ou agents conversationnels, la question : Quand la France a-t-elle été créée ? n'est pas assez précise et délimitée (territoire, institution, etc.). Par contre, à la question : Depuis quand la France s'appelle-t-elle la France ? la réponse est plus juste, à mon avis : Le nom « France » devient officiel et symbolique surtout à partir du XIIe siècle, sous le règne de Philippe Auguste (fin du XIIe – début XIIIe siècle). Une nation voit le jour lorsque des populations se fédèrent autour d'un seul nom, d'une "cause" commune ? Au fait, très intéressant ton article. Une vulgarisation agréable à lire. Note écrite par Anarelle.
4 octobre 1958, je confirme. J’ai posé la même question à Google.