La leçon de rhétorique de l'Abbé Pierre 🆘

Comment 10 lignes écrites sur un bout de papier en 1954 continuent de sauver des vies.

mars 14, 2023

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Bonne lecture,

Alexandre

Cet hiver 1954, le froid tue en France.

29% de la population n’a ni eau ni électricité. La faute à une puissante crise économique et aux stigmates de la seconde guerre mondiale. Les bidonvilles et les roulottes fleurissent un peu partout. Jeunes, vieux, bébés et familles se retrouvent dehors alors que le vent sibérien amène avec lui des températures polaires. On flirte avec les -30 degrés dans certaines villes. Une banquise se forme à Dunkerque. Les morts se multiplient.

Un bébé de 4 mois décède du froid, une femme venant d’être expulsée de son logement ne survit pas à sa première nuit dehors.

Henri Grouès ne peut s’y résoudre.

Connu sous le nom de l’Abbé Pierre, son nom de résistant, il fonde dès 1949 le mouvement Emmaüs au sein de sa maison de Neuilly-Plaisance.

Lui, l’ex député, demande au gouvernement la construction d’urgence de nouveaux logements. Peine perdue.

Les politiques ne l’écoutent pas ? Qu’à cela ne tienne, il va s’adresser directement aux Français ! C’est ce que lui conseille un ami journaliste, Georges Verpraet. L’Abbé Pierre connaît la puissance de la radio. Il a ailleurs participé en 1952 au jeu Quitte ou Double afin de récolter des fonds pour Emmaüs.

Ce 1er février 1954, l’Abbé se transforme en pilote automobile au volant de sa Renault 4. Après quelques feux grillés, il arrive à Radio Luxembourg avant la fin du journal pour lire son texte, quelques lignes sur un bout de papier.

C’est une supplique :

“Mes amis, au secours... “

Le style très direct de la suite continue de traduire l’urgence de la situation :

Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heure, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée...
Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d'un presque nu. Devant tant d'horreur, les cités d'urgence, ce n'est même plus assez urgent !”

Il faut avoir un impact immédiat sur le réel. Sa conclusion donne même des instructions très précises :

“Chacun de nous peut venir en aide aux « sans-abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l'hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l'asphalte ou sur les quais de Paris.”

L’équivalent de 18 millions d’euros est récoltés dans les jours qui suivent. Quelques célébrités, notamment Chaplin, lui-même enfant de l’extrême pauvreté, participe à l’élan de générosité.

“Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j'ai été et que j'ai incarné.”

Le Parlement vote ensuite la construction de 12 000 logements. L’aventure Emmaüs dure encore 70 ans après signe que l’urgence d’hier reste celle d’aujourd’hui.

🧠 Food for thought

L’urgence et l’impatience ont dicté ce texte très court de l’Abbé Pierre.

Il a parfaitement capté et traduit le tragique des situations individuelles en quelques mots. Le style sans fioriture touche et pince le cœur des auditeurs avec le succès que l’on sait.

Et si, comme lui, nous formulions le plus simplement possible les situations qui nous touchent pour mieux les résoudre collectivement ? Et si cette sincérité brute était la clé dans certaines situations ?