Lâart de la paix en Nouvelle-CalĂ©donie avec Michel Rocard
Comment le premier ministre de François Mitterand évita la guerre.
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Les deux hommes sortent de lâHĂŽtel de Matignon.
Jacques Lafleur, le Caldoche, prend la parole devant les journalistes.
"AprĂšs 15 jours de nĂ©gociations, nous avons rĂ©ussi Ă comprendre tous autant que nous sommes que nous devions savoir donner et pardonner. Câest ce que nous sommes parvenus Ă faire."
Son homologue Kanak et leader du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou, déclare quant à lui :
âMĂȘme si pour les militants, câest un peu dur peut-ĂȘtre dans lâimmĂ©diat, je pense quâĂ lâavenir, on saura reconnaĂźtre que ces accords sont un pas important.â
Ce 26 juin 1988, les deux hommes, farouches ennemis dâhier, se serrent la main.
La paix, pour une fois, a mangé la guerre.
Car câest bien le scĂ©nario dâun affrontement majeur qui se profile entre Caldoches et Kanaks en 1988, surtout depuis la prise dâotages de la grotte dâOuvĂ©a oĂč 21 personnes ont perdu la vie, preneurs dâotages ou gendarmes, Kanaks et Caldoches.
La situation est catastrophique.
Pour autant, quelques semaines ont permis dâĂ©viter le conflit gĂ©nĂ©ralisĂ©. Nous retrouvons un homme aux manettes : Michel Rocard, dĂ©signĂ© premier ministre aprĂšs la rĂ©Ă©lection de François Mitterand.
En quelques semaines, il arrive avec son Ă©quipe Ă faire cesser les violences sur lâĂźle. Quelles sont les conditions qui ont Ă©tĂ© mises en place pour aboutir Ă un accord de paix ?
Condition 1 de lâart de la paix : Vouloir la paix
Le mandat de Rocard fixé par Mitterand est simple : obtenir la paix. La premiÚre étape est la plus difficile : Amener les deux partis à la négociation.
Lafleur est un Ă©lu RPR, homme dâaffaires et protestant. Tjibaou est prĂȘtre et paysan. Le nouveau premier ministre rassemble une Ă©quipe de quelques hommes en charge de convaincre Lafleur et Tjibaou. LâĂ©quipe doit savoir parler aux deux hommes et cela va influencer le casting choisi par Michel Rocard.
Cette diversitĂ© sera bien utile lors des premiĂšres approches avec les protagonistes, notamment avec Lafleur qui se laissera convaincre par le nĂ©gociateur affĂ»tĂ© quâest Christian Blanc :
LâĂ©lu RPR convaincu par les arguments de Christian Blanc, il reste Ă rencontrer Tjibaou. Ce sont les circonstances qui amĂšnent le leader du FLNKS Ă accepter le dialogue.
Un Ă©pisode aussi impromptu quâĂ©mouvant va finir par le convaincre :
Le principe de la nĂ©gociation Ă©tant acceptĂ©, lâĂ©quipe de Rocard a le champ libre pour entamer la seconde Ă©tape.
Condition 2 de lâart de la paix : Briser le tabou majeur
Lafleur ne veut absolument pas de lâindĂ©pendance de la Nouvelle-CalĂ©donie tandis que Tjibaou ne revendique que cela. Câest bien le point qui sera au cĆur des discussions. Mais lĂ encore, Christian Blanc pose la bonne question au leader du FLNKS : quelle est au fond sa vision dâune Nouvelle-CalĂ©donie Kanak ?
Tjibaou rĂ©pond par une anaphore Ă la Martin Luther King. Son rĂȘve Ă lui prend de multiples formes : Ă©galitĂ© entre les diffĂ©rentes ethnies de lâĂźle, autonomie Ă©conomique, modernitĂ© des infrastructures, respect des coutumes et paix entre les uns et les autres.
Curieusement, un mot nâest pas prononcĂ© : IndĂ©pendance.
Tjibaou a bien une vision de la Nouvelle-CalĂ©donie mais au fond celle-ci prĂ©suppose-t-elle lâindĂ©pendance ?
Câest cette question qui va permettre dâouvrir les nĂ©gociations.
Condition 3 de lâart de la paix : NĂ©gocier dans les bonnes conditions
Les dĂ©lĂ©gations se rencontrent Ă Matignon. Rocard est intraitable sur la forme car pour lui, câest la condition sine qua non pour arriver Ă un accord :
Au sortir des nĂ©gociations, les dĂ©lĂ©gations signent un accord-cadre dont le point majeur est le rĂ©fĂ©rendum sur lâindĂ©pendance de la Nouvelle-CalĂ©donie, prĂ©vue 10 ans aprĂšs. Câest la fin de la vague de violence qui sâĂ©tait emparĂ©e de lâĂźle et les Français approuvent lâaccord, par rĂ©fĂ©rendum Ă©galement, le 6 novembre 1988.
Condition 4 de lâart de la paix : Savoir Ă©quilibrer pour une paix durable
Comment faire pour que lâaccord passe lâĂ©preuve de la rĂ©alitĂ© du terrain ? De son cadre juridique ? De lâĂ©tat dâesprit des populations ?
Au-delĂ des dĂ©lĂ©gations, comment chaque camp va-t-il accepter lâaccord ?
âTjibaou et Lafleur ont fait de lourdes concessions pour signer cet accord le 26 juin 1988 et la nĂ©gociation retour, consistant Ă faire accepter l'accord dans leur camp fut des plus difficiles. Il s'agit toutefois d'un accord-cadre qui sĂ©curise les conditions dans lesquelles les deux communautĂ©s, kanak et caldoches, vont continuer Ă discuter ensemble de leur destin.â Les 7 nĂ©gociations qui ont fait lâHistoire de France.
Ainsi, lâĂ©tat a administrĂ© lâĂźle pendant un an puis petit Ă petit de nombreux amĂ©nagements ont Ă©tĂ© apportĂ©s afin dâamĂ©liorer les conditions de vie pour tous avec toujours la perspective de lâautodĂ©termination si la majoritĂ© de la population en exprime le souhait lors du rĂ©fĂ©rendum.
Finalement, trois se sont tenus Ă partir de 2018 et Ă chaque fois le âNonâ Ă lâindĂ©pendance lâa emportĂ©.
Le courage de la paix ?
Quel que soit le jugement porté sur le parcours des deux protagonistes, négocier et signer un accord de paix était un acte courageux.
Tjibaou va le payer de sa vie le 4 mai 1989, jour de son assassinat par un Kanak indĂ©pendantiste. Câest une des malĂ©dictions qui sâabat sur les anciens ennemis qui essaient de faire la paix comme nous le rappelle Jean-Ădouard GrĂ©sy : ils sont considĂ©rĂ©s comme des traĂźtres par les plus radicaux de leur camp.
MalgrĂ© cela, Tjibaou avait raison quand il dĂ©clarait quâĂ lâavenir on saura reconnaĂźtre lâimportance de ces accords.
Mais il y a aussi des situations oĂč la nĂ©gociation est impossible. Alors, peut-on nĂ©gocier avec tout le monde ? Est-il toujours pertinent de nĂ©gocier ? Je laisse le mot de la fin Ă mon invitĂ©.
JâespĂšre que ce numĂ©ro vous a donnĂ© envie de vous plonger dans le replay dans son intĂ©gralitĂ© oĂč nous abordons de nombreuses autres nĂ©gociations et les deux lectures qui mâont permis de proposer cette Ă©dition.—ïž
Sources :
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