Bonjour à tous,
L’histoire de Prométhée est un héritage mythologique fécond pour la littérature et le cinéma.
Mary Shelley n’a-t-elle pas intitulé son premier roman Frankenstein ou le Prométhée moderne ? Ridley Scott n’a-t-il pas sorti, il y a quelques années, le film Prometheus, qui explore la création de l’homme ? Enfin, Robert Oppenheimer, le père de la bombe atomique, est récemment revenu sous les feux de la rampe grâce à la biographie American Prometheus, adaptée par Christopher Nolan.
Dans ce numéro, je reviens donc sur ce mythe qui fascine tant les artistes et les philosophes.
Bonne lecture,
Alexandre
P.-S : il existe plusieurs versions du mythe de Prométhée. Celle-ci est une sorte de synthèse, donc imparfaite.
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Au sommet du mont Caucase, un titan est enchaîné à la roche. Son nom est Prométhée. Chaque jour, un aigle vient lui dévorer le foie. Chaque nuit, l’organe se régénère. La souffrance recommence. Une punition sans fin. Mais comment en est-il arrivé là ? C’est une longue histoire.
Le jouet des dieux
L’homme est le fruit de l’ennui des dieux. En gagnant la Titanomachie1, les dieux de l’Olympe ont aussi remporté la paix, et avec elle, l’ennui. Zeus, leur roi, décide de créer une distraction : des êtres vivants, façonnés à partir de la terre, de l’eau et du feu. Pour cela, il fait appel à Prométhée, l’un des rares Titans à avoir soutenu Zeus pendant le conflit. Ces figurines faites de chair et de sang sauront sans aucun doute divertir les habitants de l’Olympe.
Avec l’aide de son frère Épiméthée (celui qui réfléchit après), Prométhée (celui qui prévoit) façonne les créatures vivantes. Mais il laisse à son frère le soin de répartir entre elles les attributs nécessaires à leur survie : griffes, plumes, cuir, venin. Quand vient le tour de l’homme, il ne reste plus rien. L’homme ne pourra donc pas s’alimenter ni se protéger des autres espèces.
Est-ce déjà la fin de l’histoire ?
C’est sans compter sur la ruse du Titan. Prométhée a une idée. Pour que l’homme puisse survivre, il lui faut dompter l’un des éléments de la nature : le feu. Ce feu va permettre à l’homme nu de se réchauffer, de faire fuir les prédateurs et de cuire les aliments. Ainsi, Prométhée, créateur de toutes choses vivantes, apporte le feu aux hommes, qui les protège et les nourrit.
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La part des Dieux
Dans un premier temps, la cohabitation entre les dieux et les hommes se déroule harmonieusement. Cependant, grâce à la maîtrise du feu, l’homme devient audacieux et commence à se considérer comme l’égal des dieux.
Zeus décide de rétablir la distance. Il souhaite établir une hiérarchie entre les dieux et les hommes. Après tout, ils n’ont pas élevé les cochons ensemble.
Il exige de Prométhée un sacrifice : un bœuf, découpé en deux parts, l’une pour les dieux avec les meilleurs morceaux, l’autre pour les hommes. Prométhée, rusé, dissimule les os sous une couche de graisse brillante, et enveloppe la bonne viande dans des boyaux sanglants.
Zeus se fait piéger et donne, sans le savoir, la meilleure part aux hommes. Fou de rage, il décide de punir la création de Prométhée en confisquant le feu. Il cache également le blé, obligeant les hommes à travailler, ce qu’ils ne faisaient point jusqu’ici. Désormais, l’humanité connaîtrait le froid, la faim et le labeur.
Prométhée se révolte à nouveau.
Le feu prométhéen
Zeus confisque le feu aux hommes ? Qu’à cela ne tienne ! Prométhée vole une étincelle à l'Olympe et la cache dans une tige de fenouil afin de rapporter le feu aux hommes. Zeus, de nouveau humilié, va cette fois-ci sévèrement punir Prométhée.
Zeus ordonne à Héphaïstos d’enchaîner le Titan Prométhée à un rocher du mont Caucase, où il devra subir un supplice particulièrement cruel : chaque jour, un aigle viendra dévorer son foie, et chaque nuit, cet organe se régénérera, condamnant Prométhée à une torture sans fin.
Mais la vengeance de Zeus ne s’arrête pas là. Les hommes aussi subissent les représailles du roi de l’Olympe.

Héphaïstos2, toujours lui, doit modeler dans l’argile la première femme. Pandore (c’est son nom) est dotée de tous les dons de l’Olympe. Aucun homme ne peut lui résister, surtout pas Épiméthée, qui, malgré les avertissements de son frère, accepte de la prendre comme épouse.
En guise de bagage, Pandore apporte une boîte mystérieuse que Zeus lui a interdit d’ouvrir. Certaines interdictions sont de vraies incitations. L’épouse d’Épiméthée cède finalement à la tentation et ouvre la boîte, laissant s’échapper les pires malheurs du monde : les maladies, les guerres, la folie et bien d’autres maux que nous connaissons trop bien depuis. Seul un n’a pas eu le temps de s’échapper : l’espérance, ce malheur qui mange le présent des hommes en appuyant sur ce qui leur manque.
Conclusion
Prométhée a plusieurs visages : celui du Titan rusé qui prévoit la victoire de Zeus et n’hésite pas ensuite à le manipuler pour arriver à ses fins. Celui du créateur et du sauveur des hommes qui, par tendresse, prendra le risque de souffrir pour eux. Celui qui leur transmet le feu, leur laisse inventer leur destin, quitte à leur donner le moyen de leur auto-destruction.
Il est aussi dans L’homme révolté d’Albert Camus “le premier révolté” récusant “le droit de punir”3. C’est un révolutionnaire sans guillotine, un insurgé sans haine, un homme qui se dresse mais ne frappe pas.
C’est un un libre-penseur qui contrarie les ordres célestes non par arrogance, mais parce qu’il pense. Il voit, il comprend, il agit. Il ne se soumet pas à l’inéluctable, il le dérange. C’est une manière de rester debout quand tout invite à se prosterner. C’est la liberté ultime.
Mais au fond, s’il est si inspirant pour les artistes, c’est sans doute parce que Prométhée, pris dans les dilemmes que lui impose sa liberté, entre le feu qui brûle et la flamme qui éclaire, nous ressemble beaucoup.
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Alexandre
Guerre entre les partisans de Cronos et ceux de Zeus, son fils. Zeus a gagné.
Normal, c’est le dieu de la forge… et du feu.
L’homme révolté, Albert Camus, éditions Folio, p301
Très beau texte Alexandre, merci 🙏
Ce mythe fait partie de ceux que j'affectionne le plus, car il parle d'élévation permanente et des sacrifices nécessaires pour être libres. Et l'exemple de Prométhée est doux, car ce dernier s'offre en sacrifice pour l'humanité. En soit, on pourrait le comparer au serpent dans l'Eden qui incite à prendre le fruit de la connaissance, mais le récit est remanié par ailleurs en lui faisant dire "vous serez pareils à Dieu" (enfin, je te dis ça de mémoire), ce qui change radicalement la nature de l'incitation.
C'est moins la curiosité, la volonté de survie que l'orgueil qui guide le geste d'Eve. En fin de compte, Prométhée, à bien des égards partage beaucoup plus avec le Christ, qui offre lui aussi sa chair en tribut.
Merci pour ton édition passionnante comme toujours !