Quand la France voulait redevenir une monarchie
Grâce à l'IA, les principaux acteurs racontent le début de la Troisième République.
Bonjour à tous,
C’est une édition un peu spéciale que je vous propose cette semaine.
Comme vous l’avez peut-être remarqué en suivant mes notes sur l’application Substack, je partage régulièrement des photos prises au XIXᵉ siècle.
Je trouve fascinant de me dire que le personnage que j’ai sous les yeux est Louis-Philippe, dernier roi de France, ou encore Napoléon III, premier président de la République et dernier empereur. Mais pourquoi se limiter à partager ces photos alors que l’intelligence artificielle peut donner vie à ces scènes et à ces portraits ?
J’ai donc intégré dans ce récit de courtes vidéos générées par IA qui donnent vie aux acteurs de la fondation de la IIIᵉ République, à partir de photographies d’époque. Il s’agit d’une première tentative, encore imparfaite et à peaufiner. Toutes les citations que je mets dans leur bouche sont authentiques.
Bonne lecture,
Alexandre
P.-S. : J’indique les sources des photos originales via une note de bas de page.1
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C’est l’une des défaites les plus tristement célèbres de l’histoire de France. Ces soldats qui s’affrontent ce 1er septembre 1870 participent à la bataille de Sedan qui oppose la France à la Prusse. C’est le dernier épisode tragique du règne de Louis-Napoléon Bonaparte, lui-même fait prisonnier avec cent mille hommes le lendemain. L’armée perd dix-sept mille soldats dans la bataille soit quatorze pour cent des effectifs mobilisés sur le champ de bataille. Ainsi s’achève le Second Empire. Napoléon III est contraint de constater son échec. Il envoie ce télégramme à l’impératrice Eugénie :
De la débâcle (pour reprendre les mots de Zola) naissent deux rêves contraires : celui d’une Troisième Restauration chez les monarchistes, celui d’une Troisième République chez les républicains. L’occupant prussien observe, méfiant, pressentant peut-être, comme le disait Renan, que la défaite ne se révèle « plus utile au vaincu qu’au vainqueur ».
Le 4 septembre, Léon Gambetta, porté par la foule des manifestants parisiens, proclame sur le parvis de l’Hôtel de Ville la Troisième République. Mais ces mots ne suffisent pas à l’imposer comme régime. Le chemin va être encore long.
Cette édition retrace les premiers pas d’une république que les événements, la rigidité d’un comte, la maladresse d’un maréchal et l’habileté de quelques hommes aideront à passer du statut de transitoire à celui de pérenne.
Acte I : du chaos naît un nouveau régime
Au lendemain du 4 septembre 1870, un gouvernement de Défense nationale est constitué malgré les désaccords qui opposent ses membres. D’un côté, les modérés, partisans d’une paix immédiate, incarnés par des figures comme Jules Simon.
Le pragmatique Adolphe Thiers est un politique bien connu des Français au cursus honorum à la fois tortueux et complet : plusieurs fois ministre sous Louis-Philippe et député sous des régimes différents. D’abord monarchiste, puis républicain de la veille en 1848, il soutient d’abord le président Louis-Napoléon Bonaparte avant de s’opposer à lui après le coup d’État du 2 décembre 1851. La chute de ce dernier signifie pour Thiers la fin d’une longue traversée du désert.
À l’opposé, Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, souhaite poursuivre le combat. Il semble déterminé à renvoyer les troupes prussiennes dans leurs foyers, comme un écho lointain de la bataille de Valmy où les armées françaises de la Révolution avaient déjà battu les Prussiens.
Seulement voilà, rien n’y fait. Aucun pays ne souhaite soutenir la France dans ce conflit. Le siège de Paris par les troupes prussiennes à partir du 19 septembre 1870 achève tout espoir de victoire. Le 18 janvier 1871, Paris exsangue, la défaite se consomme et l’armistice négocié par Thiers est signé.2
Les Français votent donc le 8 février 1871 pour désigner les députés de la Chambre qui auront la mission de négocier les termes de la défaite et plus tard de rédiger une nouvelle constitution. Les monarchistes, légitimistes et orléanistes confondus, remportent quatre cents sièges de députés sur six cent trente-huit. La rose prend des reflets bleus.
Dans le grand désarroi que la catastrophe avait causé, le suffrage universel, déçu par l’Empire, se tournait naturellement vers les hommes qui représentaient l’ordre et la paix, les conservateurs monarchistes qu’il avait déjà envoyés aux Assemblées de la deuxième République.3
Les républicains sont donc très loin d’être majoritaires dans cette république naissante qui ne dit pas son nom. Et pourtant.
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Acte 2 : Des espoirs de Restauration au réveil républicain
Du côté monarchiste, on se persuade que l’affaire est bien engagée. Une nouvelle restauration paraît possible, vingt-trois ans après la fin du règne de Louis-Philippe. Seulement, les deux branches de la monarchie, légitimistes, successeurs de Charles X, et orléanistes, successeurs de Louis-Philippe, ne s’accordent pas encore sur le nom du futur souverain. D’autres facteurs compliquent la situation, comme l’explique Bainville dans son Histoire de France :
De plus, les royalistes, pour écarter de la monarchie le reproche qui avait poursuivi la Restauration, celui d’être revenue dans les fourgons de l’étranger, croyaient habile de laisser à un régime de transition la responsabilité d’une paix qui mutilerait le territoire. Ils voyaient aussi les signes avant-coureurs d’une insurrection et ils ne voulaient pas charger de la répression les débuts d’un règne. Au lieu de restaurer tout de suite la monarchie, comme en 1814, on l’ajourna.4
Grâce à la loi Rivet du 31 août 1871, le régime gouverne tout de même selon les principes républicains. Cette constitution provisoire permet d’éviter la vacance du pouvoir en attendant l’adoption de la constitution définitive et permet de traiter les urgences. En attendant le retour du roi, se dit-on à la droite de l’hémicycle.
C’est pourquoi Adolphe Thiers devient chef du pouvoir exécutif le 17 février 1871 puis Président de la République le 31 août de la même année, même si cette dernière n’a pas encore de réalité constitutionnelle. Il montre au peuple français, pour qui la République reste synonyme de désordre, que l’ordre et la paix peuvent exister en dehors d’une autocratie. La férocité avec laquelle la Commune de Paris est réprimée (plus de dix mille morts du côté communard) crédibilise paradoxalement le régime républicain aux yeux d’une partie de la population qui rejète le désir des Parisiens de continuer le combat contre les Prussiens. La République commence à rassurer.
Gambetta l’a également compris. Il remise sa radicalité dangereuse et infructueuse. Il ne s’agit plus d’imposer par la force les idées de la République mais de convertir un maximum de Français et leurs représentants à la cause républicaine. Il s’agit d’être « opportuniste ».
Nous nous sommes dit qu’après avoir lutté contre ce César d’aventure (Napoléon III), si jamais on pouvait en débarrasser la France, pour nous commencerait une nouvelle politique, une politique de sagesse, une politique de mesure qui ne livrerait rien au hasard et qui aurait surtout pour axiome fondamental de rassurer les intérêts et de rallier les esprits. C’est là la politique à laquelle on veut bien donner le nom d’opportuniste.5
Cette stratégie commence à porter ses fruits. D’élection partielle en élection locale, les Français donnent petit à petit l’avantage aux républicains radicaux, jusqu’à inquiéter les monarchistes.
La droite de l’hémicycle redoute ce qui se joue et le Président de la République jusqu’ici discret sur sa préférence concernant la nature du régime commence à se rapprocher ouvertement des Républicains modérés.
Thiers devient la victime d’une tentative de reprise en main du régime par les monarchistes. Il est démis de ses fonctions le 24 mai 1873 par la majorité bleue de la Chambre. Le maréchal Patrice de Mac-Mahon le remplace en tant que président de la République et le duc de Broglie devient chef du gouvernement. Son projet : mener à bien la Troisième Restauration. Mais le caractère d’un homme en décidera autrement.
Acte 3 : d’un régime de transition à la République
Unique prétendant au trône de France en 1873, Henri d’Artois refuse de faire du drapeau tricolore le drapeau national. Question de principe : le drapeau du pays, s’il en devient le roi, sera blanc et uniquement blanc :
« Je l’ai reçu comme un dépôt sacré du vieux roi mon aïeul, mourant en exil ; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente ; il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe. »
Hélas pour lui, si la France de 1873 aspire à un roi, elle ne veut pas se séparer des acquis de la Révolution et de son drapeau tricolore. Le duc d’Aumale résume la situation : « Les Français sont bleus, et ils voient rouge quand on leur montre du blanc. » Devant l’obstination du petit-fils de Charles X (qui lui-même ne brillait pas par sa souplesse), le parlement arrête le processus de Restauration. L’intransigeant comte de Chambord ne deviendra jamais Henri V. Pour autant, l’espoir des monarchistes n’est pas enterré.
Mais il devient urgent de définir la nature du régime et sa constitution après quatre ans de zone grise. C’est chose faite le 30 janvier 1875, de manière pour le moins surprenante. Rappelez-vous : la Chambre des députés est favorable à la monarchie. Jean Garrigues, historien spécialiste de l’histoire politique, nous explique l’alchimie à l’oeuvre :
Les conservateurs modérés se rapprochent des républicains, et cette “conjonction” des centres aboutit au vote, à une voix de majorité, de l’amendement présenté par le député Henri Wallon, qui marque la reconnaissance institutionnelle du président de la République, le 30 janvier 1875.6
Voici ce que dit l’amendement :
“Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible.”
Pour les monarchistes, il s’agit de se donner sept ans pour trouver un nouveau roi après l’échec de la Restauration avec le comte de Chambord. Pour les républicains, il s’agit d’inscrire la nature républicaine du régime dans la constitution. Grâce à cet amendement, c’est chose faite. La Troisième République a donc choisi d’être une république. Ce choix est confirmé par le peuple avec les élections législatives du 20 février 1876. Trois cent soixante-cinq députés républicains sont élus contre soixante-dix-huit pour les monarchistes et soixante-quinze pour les bonapartistes.
Quinze mois plus tard, le 16 mai 1877, le maréchal président décide de remplacer le républicain Jules Simon par le conservateur monarchiste Duc de Broglie, de retour à la tête de l’État. Mac-Mahon tente donc le coup de force.
Devant la résistance des républicains, choqués par la situation, le Président décide de dissoudre la Chambre. Le 14 octobre 1877, c’est une nouvelle défaite pour les monarchistes aux élections législatives. Les républicains conservent la majorité.
De Broglie démissionne et Mac-Mahon essaie de s’en sortir avec ce que nous appellerions aujourd’hui un gouvernement technique composé de hauts fonctionnaires. Mais ce dernier est obligé de démissionner le lendemain de sa nomination (ce sont des choses qui peuvent arriver).
Le président consent finalement à nommer le républicain Dufaure chef du gouvernement. Mais la messe est dite. Quelques mois plus tard, les républicains gagnent également la majorité au Sénat. Acculé, Mac-Mahon démissionne à son tour et cède la place au premier véritable président républicain de la Troisième République, Jules Grévy.
Conclusion
La Troisième République est un fleuve qui, après avoir contourné mille obstacles, trouve enfin son lit. Elle peut maintenant s’installer dans la durée. Les tentatives de restauration se sont brisées sur l’intransigeance monarchiste et sur les semi-habilités d’un camp qui pensait avoir gagné la partie, transformant ce qui devait être un régime provisoire en édifice pérenne. Laissons à Adolphe Thiers l’occasion de conclure cette édition.
À bientôt !
Si vous identifiez des erreurs, merci de m’informer par e-mail en répondant à ce message.
Alexandre
Voici la liste des originaux :
Bataille de Sedan : Domaine public.
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7358569
Portrait de Napoléon III en 1871 : Domaine public.
W. & D. Downey. William Downey (1829 - 1915), Daniel Downey (1831 - 1881).https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46121664
Portrait de Léon Gambetta : Domaine public. Etienne Carjat.
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gambetta_par_%C3%89tienne_Carjat.jpgPortrait de Patrice de Mac-Mahon : Domaine public.
Mathieu Deroche.
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Patrice_de_MacMahon_Photograph.jpgPortrait officiel d’Adolphe Thiers en tant que Président de la République : Domaine public.
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Portrait_officiel_d%27Adolphe_Thiers.jpg
Le 10 mai, le traité de Francfort ampute la France d’une partie de son territoire, l’Alsace et une partie de la Lorraine, notamment la Moselle et entérine une indemnité de 5 milliards de francs-or (3 fois le PIB annuel du pays) que le vaincu doit régler au vainqueur afin que ce dernier retire ses troupes du sol français.
Jacques BAINVILLE. Histoire de France, éditions Perrin, 2011, p493.
Ibid,. p494.
Discours de Léon Gambetta.
Ouvrage collectif dirigé par Eric ANCEAU. La nouvelle histoire de France, éditions Passés/Composés, 2025, p 176.