Hannah Arendt : Quâest-ce que lâautoritĂ© ?
La réponse d'Hannah Arendt va vous surprendre.
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Quâest-ce que lâautoritĂ© ? La lecture de âLa crise de la cultureâ dâHannah Arendt donne un Ă©clairage nouveau sur le concept dâautoritĂ©.
Je me suis intéressé à Hannah Arendt en tombant sur sa derniÚre interview.

Tenant une cigarette et portant des lunettes aux verres teintĂ©s, elle donne son analyse finale des Ătats-Unis devant les camĂ©ras de lâORTF en ce jour dâoctobre 1973.
NĂ©e en Allemagne, devenue citoyenne amĂ©ricaine aprĂšs 10 ans passĂ©s en France, de confession juive, elle a toute sa vie rĂ©flĂ©chi en politologue et en philosophe aux tempĂȘtes qui ont bousculĂ© sa vie et ensanglantĂ© le XXe siĂšcle.
Câest elle qui conceptualise le totalitarisme dans lâouvrage qui fit sa renommĂ©e « Les Origines du totalitarisme » au dĂ©but des annĂ©es cinquante.
Le langage administratif est le seul que je connaisse.
Adolf Eichmann
En 1961, elle rapporte pour le magazine New Yorker le dĂ©roulement du procĂšs dâAdolf Eichmann Ă JĂ©rusalem. Ce dernier, responsable de la mise en place de l'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, avait Ă©tĂ© capturĂ© en 1960 par le Mossad Ă Buenos Aires.
Le manque de charisme et la banalitĂ© absolue de lâex-fonctionnaire nazi choquent Arendt. Elle en tire un ouvrage polĂ©mique « Eichmann Ă JĂ©rusalem : Rapport sur la banalitĂ© du Mal ».
Ce nâest pas la Shoah qui est banalisĂ©e. Câest tout le contraire. Arendt examine attentivement cette question car les camps de la mort reprĂ©sentent lâacmĂ© la violence. L'extermination des juifs est planifiĂ©e et exĂ©cutĂ©e par des individus tout Ă fait ordinaires. Les bourreaux de la Shoah Ă©taient plus apathiques que mĂ©chants. Selon Arendt, les actes dâEichmann dĂ©coulent non pas de sa bĂȘtise, mais de son absence de rĂ©flexion. Une conclusion encore polĂ©mique aujourdâhui.
Que faire pour quâune CitĂ© redevienne effectivement possible, qui ne soit pas seulement façade ou fiction, mais rĂ©alitĂ© pensĂ©e ? Pour quâexiste un aprĂšs Totalitarisme et quâexistent Ă nouveau des citoyens ? Ce sont les questions dâArendt.
Roger-Pol Droit dans MaĂźtres Ă penser
Comment continuer Ă coexister aprĂšs le totalitarisme ?
Câest aussi lâobjet de ce petit livre « La crise de la culture » paru en 1954. Le titre anglais est plus en rapport avec son contenu : « Between Past and Future ».
Lâouvrage regroupe 8 essais sur des sujets aussi diffĂ©rents que la tradition et lâĂąge moderne, le concept dâHistoire, ou la conquĂȘte de lâespace. Lâun dâeux se nomme « Quâest-ce que lâautoritĂ©Â ? » . Le texte est court, puissant et Ă©clairant.
Dans un premier temps, Arendt nous parle de lâautoritĂ© telle que nous la concevons en occident. Et câest sur cette base quâelle revient sur sa gĂ©nĂ©alogie :
Parce que l'autorité requiert toujours l'obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence.
Pourtant l'autoritĂ© exclut l'usage de moyens extĂ©rieurs de coercition ; lĂ oĂč la force est employĂ©e, lâautoritĂ© proprement dite a Ă©chouĂ©.
L'autoritĂ©, d'autre part est incompatible avec la persuasion qui prĂ©suppose lâĂ©galitĂ© et opĂšre par un processus d'argumentation. LĂ oĂč on a recours Ă des arguments, l'autoritĂ© est laissĂ©e de cĂŽtĂ©.
Face Ă l'ordre Ă©galitaire de la persuasion, se tient lâordre autoritaire, qui est toujours hiĂ©rarchique. S'il faut vraiment dĂ©finir l'autoritĂ©, alors ce doit ĂȘtre en lâopposant Ă la fois Ă la contrainte par force et Ă la persuasion par arguments.
LâautoritĂ© est en fait un consentement Ă une hiĂ©rarchie :
La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obĂ©it ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande ; ce quâils ont en commun, câest la hiĂ©rarchie elle-mĂȘme, dont chacun reconnaĂźt la justesse et la lĂ©gitimitĂ©. Et oĂč tous deux ont Ă lâavance leur place fixĂ©e.
LâautoritĂ© est donc sans pouvoir, au-dessus des lois et acceptĂ©e par tous. Câest une transcendance.
Mais sur quoi peut-elle bien reposer ?
Arendt revient sur lâĂ©tymologie et lâhistoire du mot âautoritĂ©â :
Le mot « Auctoritas » dĂ©rive du verbe âAugereâ, âaugmenterâ, est ce que lâautoritĂ© ou ceux qui commandent augmentent constamment : câest la fondation. Les hommes dotĂ©s dâautoritĂ© Ă©taient les anciens, le SĂ©nat ou les PĂątres qui avaient obtenu par hĂ©ritage et par transmission de ceux qui avaient posĂ© les fondations pour toutes les choses Ă venir, les ancĂȘtres que les Romains appelaient les « Maiores ».
Le SĂ©nat romain, dont les membres sont les descendants des 100 premiers compagnons de Romulus, incarnait lâesprit de la fondation de Rome. Quant au Pape, il est dĂ©signĂ© comme le successeur de Saint Pierre et est en charge de rappeler aux catholiques les messages de la Bible. JusquâĂ Nietzsche (Dieu est mort), lâEglise Ă©tait lâautoritĂ© suprĂȘme en occident jouissant dâun large pouvoir dâinfluence sans pour autant dĂ©tenir le pouvoir des empereurs et des rois.
On retrouve cette logique dans les institutions amĂ©ricaines. Le pouvoir est au prĂ©sident, lâautoritĂ© Ă la Cours SuprĂȘme en charge de protĂ©ger lâacte fondateur du pays, câest-Ă -dire la Constitution.
Les dĂ©positaires de l'autoritĂ© sont ceux qui sâemparent, protĂšgent et dĂ©veloppent le rĂ©cit originel.
La violence est la sage-femme de toute vieille sociĂ©tĂ© enceinte dâune nouvelle.
Karl Marx
Quand le rĂ©cit originel est mis de cĂŽtĂ©, quand le fil de lâhistoire est rompu, les problĂšmes surviennent.
Câest pourquoi les rĂ©volutions se terminent la plupart du temps dans un bain de sang. La logique analysĂ©e par Arendt est imparable.
Une rĂ©volution consiste Ă rompre avec les traditions, Ă crĂ©er un nouveau mythe fondateur afin dâimposer un ordre nouveau. Pour cela, il est tentant de mĂ©langer lâautoritĂ© et le pouvoir pour accĂ©lĂ©rer les choses et tuer dans lâĆuf toute tentative de restauration. Câest Ă ce moment que le pouvoir devient tyrannique et violent. La Terreur est bien le fruit de cette logique. Idem pour la rĂ©volution bolchevique. Lâabsence dâautoritĂ© entraĂźne le chaos, et le chaos la fin des libertĂ©s individuelles.
Cela nous amĂšne Ă une conclusion paradoxale.
LâautoritĂ©, câest un cadre acceptĂ© et soutenu par tous, dirigeants ou subordonnĂ©s. Elle assure le dĂ©veloppement des libertĂ©s individuelles en assurant une coexistence pacifique entre les individus. LâautoritĂ© est donc le bouclier de la libertĂ©.
Quand je vous disais que la rĂ©ponse dâArendt est Ă©tonnante.
Sources :
La crise de la culture, Hannah Arendt
Eichmann Ă JĂ©rusalem, Hannah Arendt
MaĂźtre Ă penser, Roger-Pol Droit
Hannah Arendt, La passion de comprendre
Hannah Arendt et la crise de la culture, Radio France
Morale de lâHistoire :
Selon Hannah Arendt :
LâautoritĂ© est le consentement dâune hiĂ©rarchie juste et lĂ©gitime entre commandants et commandĂ©s.
Elle repose sur la capacité à nouer le dialogue avec le passé, avec le mythe fondateur.
Une autoritĂ© bien comprise offre un cadre. Ce dernier permet une coexistence harmonieuse entre les individus. Câest un guide, Ă©tablissant des normes et des valeurs partagĂ©es qui facilitent la collaboration au sein d'une communautĂ©.
Le post de la semaine
Un post Ă©tonnant sur X : lâenregistrement audio du passage de la guerre Ă la paix en 1918. Du bruit des canons au silence.
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Bonne semaine Ă tous !
Alexandre
PS : nâoubliez pas de liker cette Ă©dition si vous lâavez apprĂ©ciĂ©e.
Merci pour cette lettre passionnante. La definition de lâautoritĂ© par Hannah Arendt est tellement claire. Merci pour tout ce travail.
Je dĂ©couvre votre lettre aujourdâhui, merci