Richard Nixon : Prendre les bonnes décisions stratégiques
Plus cĂ©lĂšbre en France pour la fin piteuse de son mandat que pour son action gĂ©opolitique. Et pourtantâŠ
Tout le contenu de Morale de lâHistoire est en libre dâaccĂšs afin dâĂȘtre lu par un maximum de personnes. Si vous souhaitez marquer votre soutien Ă Morale de lâHistoire, câest possible en souscrivant Ă un abonnement mensuel (le prix de 3 âïž par mois) ou annuel (2 âïž par mois). Un grand merci Ă ceux qui le feront !
Le 26 dĂ©cembre 1991, lâURSS nâest plus. Et par la mĂȘme occasion, la guerre froide se termine faute de combattant. Richard Nixon a quittĂ© la Maison Blanche depuis 18 ans quand il rĂ©pond aux questions des journalistes au dĂ©but de lâannĂ©e 1992 :
« On dit que la Guerre Froide est terminĂ©e et que nous avons gagnĂ©. Câest Ă moitiĂ© vrai. Car si le communisme a effectivement perdu, les idĂ©es de la libertĂ© sont en train dâĂȘtre testĂ©es par les Russes.
Si cela ne se passe pas bien, il ne faut pas sâattendre Ă un retour du communisme, mais plutĂŽt Ă celui du despotisme. Câest un danger mortel pour le monde, qui pourrait ĂȘtre contaminĂ© par ces idĂ©es. »
Au dĂ©but de lâhiver 2023, le diagnostic de lâex-prĂ©sident amĂ©ricain sonne terriblement juste non ?
Nixon a lui-mĂȘme façonnĂ© pendant son mandat le monde multipolaire que nous connaissons aujourdâhui.
Les 6 ans de sa prĂ©sidence sont marquĂ©s par la fin de la guerre du Vietnam mais Ă©galement par la volontĂ© de revoir les Ă©quilibres mondiaux afin de servir les intĂ©rĂȘts de son pays.
Pour cela, il pacifie les relations entre Washington et Moscou et fait entrer un troisiĂšme acteur, la Chine, dans le cercle des grandes puissances afin de diminuer lâinfluence de lâURSS. Ainsi, la Guerre Froide, Ă lâĂšre des nĂ©gociations entre puissances, se mue peu Ă peu en DĂ©tente.
Durant ses mandats, il pouvait compter sur la prĂ©sence dâHenry Kissinger Ă ses cĂŽtĂ©s en tant que conseiller Ă la sĂ©curitĂ© nationale. Ce dernier nous ouvre les portes du bureau ovale dans « Leadership : Six Ă©tudes de stratĂ©gie mondiale ».
Ainsi, il revient Ă plusieurs reprises sur le processus de prise de dĂ©cision du 37Ăšme prĂ©sident amĂ©ricain. LâĂ©pisode des nĂ©gociations sur le dĂ©sarmement nuclĂ©aire avec lâURSS (qui vont amener Ă la signature de lâaccord SALT 1 en 1972) donne Ă voir une premiĂšre dimension du leadership nixonien :
« Malgré son rÎle central dans la conception des négociations, Nixon s'intéressait moins aux détails. Au début de chaque cycle de négociations je rédigeais avec mon équipe un résumé des délibérations internes, contenant des projections sur les évolutions potentielles.
Nixon ne faisait que peu de commentaires, se limitant essentiellement à des questions générales de principe. Pendant la durée des négociations, je lui envoyais tous les soirs un compte rendu de la situation.
Le plus souvent, il rĂ©servait son avis aux moments oĂč une percĂ©e Ă©tait imminente.
Alors que les discussions techniques d'Ă©quilibre des armements avaient peu de chances de retenir son attention, il faisait toujours preuve d'une remarquable clartĂ© sur ses trois objectifs majeurs : empĂȘcher un adversaire de se doter dâune capacitĂ© de premiĂšre frappe, Ă©viter un processus d'escalade automatique en cas de conflit et prouver Ă l'opinion publique amĂ©ricaine sa volontĂ© de mettre fin Ă la course aux armements ou, au moins, de la limiter. »
Plus tÎt dans son ouvrage, Kissinger revient sur ce talent du président pour définir des objectifs clairs :
« Nixon manifestait un singulier talent pour les formulations qui esquissaient un objectif souhaité, sans se prononcer en faveur d'une exécution précise.
Lâobjectif Ă©tant clairement exposĂ©, rĂ©flĂ©chissons ensemble aux solutions, ⊠à toutes les solutions :
Explorer différentes options devint sa méthode habituelle pour obtenir des informations sur des possibilités d'action, sans risquer l'affrontement à propos d'une décision ; cette approche assurait au président la possibilité de séparer la politique à long terme des processus quotidiens.
Elle lui permettait également d'appréhender tout l'éventail des options comme s'il abordait un problÚme intellectuel abstrait, indépendant des choix personnels ou des prérogatives de tel ou tel département.
Mais la décision finale est prise seul aprÚs la réunion :
Chaque fois que c'Ă©tait possible, la dĂ©cision concrĂšte de Nixon Ă©tait communiquĂ©e plus tard, Ă un moment oĂč - je ne vois aucune exception Ă cette rĂšgle - il ne risquerait pas de dĂ©saccord frontal. »
Il faut sortir des contraintes bureaucratiques afin de prendre de la hauteur sur les sujets cruciaux. Câest cette mĂ©thode qui a insufflĂ© une crĂ©ativitĂ© gĂ©opolitique inattendue Ă la Maison Blanche.
Citons par exemple la stratégie de « Linkage » qui consiste à négocier avec les autres puissances globalement et non plus sujet par sujet, aux antipodes de la doctrine habituelle de la politique étrangÚre américaine :
« Nixon associa sa vision des négociations à une stratégie qui avait peu de chances de séduire l'establishment de la politique étrangÚre : le linkage.
Le 4 fĂ©vrier 1969, il adressa au secrĂ©taire d'Ătat William Rogers et au secrĂ©taire Ă la DĂ©fense Melvin Laird une lettre insistant sur l'approche de la nouvelle administration'' [âŠ] :
[âŠ] Je sais que le gouvernement qui nous a prĂ©cĂ©dĂ© jugeait que chaque fois qu'un problĂšme spĂ©cifique offre autant d'intĂ©rĂȘt pour l'URSS que pour les Ătats-Unis, il faut rechercher un accord et l'isoler autant que possible des alĂ©as d'autres conflits. Cela peut convenir dans un certain nombre de cas prĂ©cis tels que les Ă©changes culturels ou scientifiques.
Mais en ce qui concerne les problÚmes cruciaux du moment, je pense que nous devons montrer, par une vision suffisamment large des choses, que pour nous il existe un rapport entre les questions politiques et les questions militaires ».
Au cours des annĂ©es 70, la Guerre Froide change de nature. Lâinfluence des idĂ©ologies laisse la place Ă une approche plus pragmatique et Ă©quilibrĂ©e grĂące notamment Ă la somme de toutes les dĂ©cisions stratĂ©giques prises par lâadministration Nixon.
Puis vint le Watergate.
Source :
« Leadership : Six études de stratégie mondiale », Henry Kissinger
đ§ MatiĂšre Ă penser
Le processus de dĂ©cision de Nixon peut ĂȘtre rĂ©sumĂ© ainsi :
DĂ©cider uniquement quand lâenjeu est crucial. Les Ă©quipes sont lĂ pour prendre les dĂ©cisions plus techniques.
Une bonne dĂ©cision ne se prend quâavec un objectif clair.
DĂ©cider, câest dĂ©cider entre plusieurs options quâil faut avoir prĂ©alablement creusĂ©es ensemble.
Ces options doivent ĂȘtre envisagĂ©es en dehors des contraintes bureaucratiques pour avoir plus de sens.
La dĂ©cision stratĂ©gique se prend seul Ă froid et non Ă chaud en conclusion dâune rĂ©union.
đ Partagez cet article
Vous avez aimé ? Faites-le savoir en partageant cette édition avec vos contacts !
đ„ VidĂ©o bonus
Marine Balansard est coauteure de « DĂ©cider, ça se travaille ! ». Jâai eu la chance de lâinterroger il y a quelques annĂ©es pour mon podcast. Tout Ă fait Ă propos pour cette Ă©dition de la newsletter, nâest-ce pas ?
đČ Le post de la semaine
Je vous propose dans ce coup de cĆur dâimaginer la dĂ©faite de Roosevelt aux Ă©lections amĂ©ricaines au profit dâun personnage bien inquiĂ©tant. Cette uchronie est la proposition de base du « Complot contre lâAmĂ©rique » du gĂ©nial Philip Roth.
Jâen dis plus sur ce post Instagram.
đïž Vous en voulez plus ? RedĂ©couvrez cette Ă©dition đ
đ€ Vous nâĂȘtes pas abonnĂ©(e) ?
Rien de grave, il suffit de cliquer sur le bouton ci-dessous. La newsletter est gratuite :
Ă bientĂŽt !
Si vous dĂ©tectez une ou des fautes, nâhĂ©sitez pas Ă me le signaler par mail en rĂ©ponse Ă ce message.
âđââïžâAlexandre
PS : il y a une page cachée sur ce site⊠Là voici.