Ernest Renan : qu’est-ce qu’une nation ?
Une idée claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus
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Cette semaine, nous allons parler d’Ernest Renan et de sa conférence la plus célèbre, « Qu’est-ce qu’une nation ? ». Je vous recommande la lecture de cette édition commentée par l’historien Shlomo Sand, très éclairante sur l’évolution intellectuelle de Renan.
Bonne lecture !
Alexandre
Ce 11 mars 1882, Ernest Renan va tenir à la Sorbonne la conférence qui le fait entrer dans la postérité.
Son thème ? La nation.
L’Allemagne, sous l’impulsion de Bismarck réalise son unité en 1871, 10 ans après celle de l’Italie sous l’impulsion de Cavour. Cela ne s’arrête pas là car fécondée par les idées de la Révolution française et du Printemps des peuples, l’Europe de 1882 porte en elle les nations à naître au XXe siècle.
Mais qu'est-ce qu'une nation ?
Pourquoi la Hollande est-elle une nation, tandis que Hanovre ou le grand-duché de Parme n'en sont pas une ?
Comment la France persiste-t-elle à être une nation, quand le principe qui l'a créée a disparu ?
Comment la Suisse, qui a trois langues, deux religions, trois ou quatre races, est-elle une nation, quand la Toscane, par exemple, qui est si homogène, n'en est pas une ?
Renan, homme de religion et de science
Ernest Renan est un intellectuel au croisement de la philosophie, de l’histoire et de la philologie (l’étude de l’histoire des langues). Ce Breton né à Tréguier est un spécialiste de l’Hébreu et de la religion. Il fait scandale en 1863 avec la publication de la Vie de Jésus où il met de côté le fils de Dieu pour mieux se concentrer sur l’homme Jésus. Insupportable pour les autorités religieuses de l’époque. Il perd dès sa première conférence son siège au Collège de France.
Cependant…
L'intérêt de Renan pour la religion ne se démentira jamais ; toute sa vie durant ce sera, pour lui, un sujet de fort attachement et de débat, mais qu'il tiendra désormais dans la tenaille de l'analyse rationnelle.
Shlomo Sand, spécialiste de l’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv.
La passion qui guide Renan n’est pas celle du dévot, mais celle du scientifique et de l’historien. Renan rationalise toute chose, la religion comme la Nation. Ainsi, comme un scientifique, il teste les hypothèses possibles pour mieux les invalider.
La nation, une idée claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus
C’est ce qu’annonce Renan dans la première phrase de sa conférence. Il faut dire que le Pangermanisme en vogue à l’époque rend consubstantiel la nation, la langue et l’ethnie. Combinaison diabolique pour Renan qui pressent les dégâts que cela peut occasionner. L’histoire lui donnera raison.
Alors pour éviter les malentendus, le philologue se demande sur quoi repose une nation.
Sur la race ? On vient de voir, Renan s’oppose à cette conception. Cela présuppose que les nations existantes sont composées chacune d’une seule et même race “pure”. Cela ne tient pas. La population italienne est le fruit du brassage entre “Gaulois, Étrusque, Pelasges et Grecs.”. L’Allemagne et la France sont aussi le fruit d’un mélange de populations.
Sur la langue ? Comment ne pas penser à la Suisse dont la population parle quatre langues ? Les Espagnoles qui parlent castillan ou catalan ? Et même les Allemands qui parlaient il y a des siècles slave et non allemand ? Ce sont pourtant des nations.
Est-ce que la religion est le socle de la nation ? Non, car la religion dans un monde moderne est une question de croyance individuelle.
Est-ce la géographie ? Cela ne veut rien dire, car la géographie d’un pays est liée à ses frontières bien souvent, fruit des conquêtes, allant et venant sans forcement détruire les nations. Les Alsaciens de 1882 se sentaient toujours Français alors que leur terre était officiellement allemande.
Est-ce le simple intérêt commun ? Comme le dit Renan, l’intérêt est le socle des traités de commerce, pas des nations.
Non, la nature même de la nation est à chercher… Plus haut.
Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes
Renan reprend cette citation spartiate pour illustrer sa définition de la nation.
L'homme ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes.
La nation est l’appropriation d’un glorieux et douloureux passé (la souffrance en commun unit plus que la joie, dit-il) et d’une volonté commune de le perpétuer dans les actions du présent.
Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore.
Il termine :
L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie.
Ce que nous dit Renan, c’est que la nation, fruit de la volonté et des besoins de chacun, est un espace de liberté que n’entravent ni la race, ni la langue, ni la religion ou la géographie. Cette liberté se pratique en fonction des besoins des peuples. Ces derniers évoluant, les nations ne seront pas éternelles, prédit Renan. Il pense même qu’une “confédération européenne probablement les remplacera” soixante-quinze ans avant le traité de Rome.
Au fond, Renan nous explique qu’une nation repose sur l'oubli, le souvenir et la volonté : Oubli des luttes fratricides d’hier, souvenir de la fraternité des combats glorieux. Et l’envie de se montrer collectivement à la hauteur.
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Alexandre