L'Histoire au fil de la plume - en partenariat avec "Polars et Podcasts"
Fantômes, vaincues, guerriers, fanatiques et profiler (du Premier Empire)
Bonjour à tous,
Cela m’arrive régulièrement, et c’est sûrement votre cas également. Vous vous plongez dans un roman et voilà que les pages deviennent des fenêtres sur l'époque qu'elles décrivent. Plus vous avancez dans votre lecture, plus vous saisissez non seulement l’intrigue et les tourments des personnages mais aussi, l'esprit de leur temps.
Il n'existe pas de mauvaise voie pour s’approprier l'Histoire. La fiction historique en constitue une des plus séduisantes.
J'ai donc invité Sophie, de l'excellente newsletter Polars et Podcasts, à nous recommander des récits dont les intrigues nous permettent de revivre l’Histoire … à hauteur de plume.
Sophie, the floor is yours !
P.-S. : J’ai ajouté mon grain de sel avec deux recommandations en fin de newsletter.
Bonjour à tous !
Rien ne me réjouit davantage qu’un roman qui mêle deux de mes grandes passions : le récit et l’Histoire.
Et si, en plus, pour éclairer la grande Histoire, l’auteur choisit d’y entremêler la petite, alors je suis au paradis.
Commençons par …
1 - Les Guerriers de L’Hiver (Olivier Norek)
À tous ceux qui pensent que ma passion pour Olivier Norek relève de l’obsession, je tiens à dire que vous avez parfaitement raison.
L’histoire (sans spoilers) :
C’est l’histoire d’un géant qui s’apprête à engloutir un petit poucet.
Nous sommes en novembre 1939.
Alors qu’en Europe continentale la guerre vient tout juste d’être déclarée, tout en haut, là-bas, en Scandinavie, l’U.R.S.S. de Staline se verrait bien croquer la Finlande afin d’agrandir son territoire et démontrer sa force de frappe à Hitler au cas où celui-ci aurait l’idée de venir lui chercher des noises.
L’anéantissement de la Finlande semble d’ailleurs inévitable tant, sur le papier, l’écrasement des petites troupes finlandaises par l’ogre russe ne fait pas un pli.
Et pourtant. Entre les 800 000 soldats russes et les 300 000 soldats finlandais se dresse un obstacle de taille : un hiver terrible où la température descend, cette année-là, à moins 43 degrés1.
Un obstacle… ou plutôt deux : Simo Häyhä, un petit paysan finlandais engagé dans l’armée pour lui aussi, lutter contre l’envahisseur.
Simo Häyhä, l’un des plus grands snipers de tous les temps.
Simo Häyhä, la Mort blanche.
Premières phrases du roman :
“La lumière pleut sur ses yeux fermés, sur son corps allongé au cœur arrêté.
Autour de lui, le dernier jour de la guerre jonche le sol de dépouilles par milliers, déposées à la surface de la neige rouge.
Il n’est personne parmi les autres. Ni plus précieux, ni plus important. Mais ailleurs, il pourrait être un père, un frère, un ami ou un mari.
Ailleurs, il est tout.”
Sinon, je vous ai déjà dit que j’adorais Norek?
Ce qui sublime le récit :
Bien sûr, il y a les chiffres: le décompte des chars, des hommes, des chevaux, sans oublier les stratégies militaires et le rappel du contexte historique, qui mettent en perspective cette lutte quasiment perdue d’avance entre le géant militaire russe et un petit voisin menacé d’invasion (cela ne vous rappelle rien?).
Mais la force et la beauté de ce roman tiennent avant tout à la plume à la fois pudique et poignante de Norek lorsqu’il nous livre le récit intime d’hommes et de femmes brutalement arrachés à leur existence. L’histoire de ce frère à peine majeur que l’on arrache à sa vie d’enfant pour lui mettre un fusil entre les mains; celle de ces paysans contraints de brûler leurs fermes et le travail de toute une vie pour que l’ennemi n’en profite pas; ou encore celles de ces femmes muées en infirmières, qui parcourent le front elles aussi, au péril de leur vie.
Le récit leur offre à tous un visage, une voix, une âme.
Et à un homme plus qu’aux autres: Simo Häyhä, ce tueur qui était si bon à l’être, et à qui Norek restitue une humanité absolument bouleversante.
👉Pour aller un tout petit peu plus loin :
Voici le héros du jour, ou plus exactement le héros de cette incroyable page de l’histoire : Simo Häyhä.

Si vous ne connaissez pas encore le destin de ce guerrier finlandais, je vous recommande vraiment de ne pas aller farfouiller tout de suite sur Wikipédia pour en savoir plus, mais plutôt de vous laisser emporter par le récit exceptionnel d’Olivier Norek pour le découvrir.
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2 - Le Silence des Vaincues (Pat Barker)
Si la guerre de Troie ne s’est pas particulièrement bien terminée pour les Troyens, que dire du destin des Troyennes…
Premières phrases du roman :
« Le grand Achille. Le brillant Achille, le bouillant Achille, le divin Achille… Comme les épithètes s’accumulent!
Nous ne l’appelions jamais par aucun de ces noms ; nous l’appelions “le boucher”. »
Voila qui s’appelle poser un sujet. Et une ambiance.
L’histoire (sans spoilers) :
La guerre de Troie a bien lieu2.
Là, maintenant.
Guidés par les dieux, Achille, Hector et Agamemnon s’affrontent dans des combats titanesques pour la conquête de la cité, tandis que les habitants – et surtout les femmes – subissent de plein fouet la violence de cette guerre interminable.
Tueries de masse, viols, humiliations, assassinats : la guerre de Troie revisitée par Pat Barker n’a rien d’une épopée héroïque. C’est au contraire le récit universel des conflits vus à hauteur de civils.
Une explosion de laideur, de cruauté et d’injustice, dont il faut pourtant trouver la force de se relever.
Ce qui sublime le récit :
La mémoire, le trauma, la survie et la résilience sont les thèmes centraux de l’œuvre de Dame Patricia W. Mary Barker, et le sujet qu’elle a choisi pour l’aborder dans ce roman est particulièrement troublant.
L’Iliade est un récit mythique, une légende aussi sublime qu’éthérée, portée par des héros inatteignables en quête d’absolu et affrontant des épreuves extraordinaires.
Mais qui, en lisant cette épopée, s’est déjà senti touché au plus profond de lui-même par la tragédie des sans grades, submergé par une vague d’horreur à l’idée de faire partie des perdants ou terrassé par le sentiment d’un danger imminent ?
Qui, au fil du poème, a déjà cru sentir virevolter autour de lui la poussière soulevée par l’arrivée des troupes ennemies aux portes de la ville, l’odeur du sang des blessés et l’urgence de sauver les siens coûte que coûte?
Car loin des actes glorieux qui retentissent pour l’éternité et des passes d’armes pleines de bravoure, ce qui reste de la guerre une fois qu’elle est passée, c’est un saccage. Des êtres, des corps, des villes et villages bien sûr, mais aussi de la culture dans laquelle vous avez été élevée, des paysages de votre enfance, de votre langue, de vos repères, de tout ce que vous avez toujours connu.
En choisissant de donner un visage humain aussi bien aux héros de la guerre de Troie, qu’à celles et ceux qui constituent l’arrière-plan de cette bataille mythique, Pat Barker nous offre une réflexion aussi complexe que vertigineuse sur la guerre : sur ceux qui la font et celles qui la subissent.
Sur ceux qui y meurent et celles qui y survivent.
👉Pour aller plus loin :
“Les Exilées de Troie” la suite du “Silence des Vaincues” est paru en 2022.
3- L’expérience des fantômes (Fabrice Humbert)
Amateurs de récits d’aventure, ce roman est pour vous.
Amateurs d’histoires d’expéditions aux confins du globe, ce roman est pour vous.
Amateurs d’énigmes historiques résolues des dizaines (voire des centaines) d’années plus tard, ce roman est pour vous.
Amateurs de mystères - gentiment3 - paranormaux, ce roman est pour vous.
Dans tous les cas, ma promesse est la suivante : vous allez avoir du mal a refermer ce livre avant la fin.
L’histoire (sans spoilers) :
Londres, 1845.
Alors que la puissance britannique ne cesse de s’étendre dans tous les domaines, l’Amirauté de la plus grande flotte du monde lance une expédition polaire.
L’objectif ? Trouver le fameux passage du Nord-Ouest, entre le Canada et le Pacifique, qui ouvrirait une nouvelle route commerciale au potentiel faramineux.
L’équipage ? Des marins expérimentés, aguerris à toutes les difficultés du cercle polaire.
Les navires ? Le HMS Erebus et le HMS Terror, bijoux de technologie censés affronter n’importe quelle situation.
Le résultat ? Je vous laisse le découvrir.
Quant au lien avec les fantômes… idem.
Extrait du roman :
“Si étranges qu’ils soient, les événements relatés dans cet ouvrage sont authentiques. Les journaux de l’époque ont fait des recensions précises et circonstanciées des moments les plus surprenants de ce récit. Des témoins oculaires les ont consignés dans des ouvrages que chacun pourra consulter dans les bibliothèques nationales anglaise et canadienne. L’auteur s’est permis de les livrer aux lecteurs.”
Ce qui sublime le récit :
Une histoire palpitante servie une enquête historique ultra-minutieuse, une plume élégante, dépouillée de tout artifice inutile (l’intrigue est déjà assez mystérieuse sans qu’il soit besoin d’en rajouter dans le grandiloquent) et un parti pris assumé de la part de l’auteur : reconnaître que le mystère, l’ésotérisme et le paranormal — sujets tout à fait répandus dans l’Angleterre du XIXᵉ siècle4 — pouvaient alors faire partie de la résolution d’une énigme.
Fabrice Humbert ne juge pas et, encore moins, ne se moque. Il raconte.
Il raconte comment, face à l’inexplicable et à l’absence, certains cherchent des réponses là où ils peuvent en trouver.
👉Pour aller plus loin (et voir les choses un peu différemment):
Ici permettez moi de sortir un peu de mon domaine littéraire et podcastien (quoi que) pour vous recommander l’excellente mini-série “The Terror” basée sur le roman de Dan Simmons et qui reprend donc l’épopée de l’expédition Franklin sous un angle aussi passionnant que… on va dire intriguant.
La série bénéficie d’une production soignée, d’une très bonne écriture et surtout d’un casting 5 étoiles (Jared Harris, Ciaran Hinds et une pléthore d’acteurs anglais géniaux dont vous connaissez le visage si vous avez vu Chernobyl, Game of Thrones, Andor Sherlock etc.).
📺 Disponible sur Netflix et Amazon Prime.
Je n’en dis pas plus. Enjoy.
Deux recommandations bonus
Merci, Sophie ! À mon tour de recommander deux romans qui m’ont marqué ces dernières semaines.
4 - Les furieuses (Armand Cabasson)
Un polar passionnant à la construction étonnante
L’histoire (sans spoilers) :
Paris, 1807. Pendant que Napoléon et son armée font trembler l’Europe, Candelet et Dalvers suivent la piste d’un tueur aussi méthodique que barbare.
Candelet et Dalvers, c’est un duo improbable. Le premier est inspecteur, les preuves matérielles ancrées dans son esprit. Le second est aliéniste et dialogue avec les âmes brisées pour mieux les comprendre. L’un constate, l’autre interprète. Mais il le fait efficacement. Pour lui, nul doute : le tueur est maniaque et doit être arrêté au plus vite, car chaque jeune femme assassinée n’est qu’un pas de plus vers le crime suivant. L’histoire lui donne raison.
Pendant ce temps, d’étranges rumeurs parviennent d’Espagne, où une mystérieuse Reine Sorcière et son armée causent bien des tracas à l’occupant français. Et si la réponse à l’énigme parisienne se trouvait là-bas, dans ces terres où résonnent déjà les échos de la guerre ?
Extrait du roman :
“Alors, à travers les fenêtres, il aperçoit soudain la chose la plus incroyable de toute son existence. Ses yeux s'écarquillent devant ces images incongrues. Il voit passer des têtes, mais que des têtes. Celles-ci sont fichées sur des piques. Puisqu'il se trouve au premier étage, l'armée reste invisible, seules défilent les têtes coupées. Des aristocrates. Quelques hommes portent encore leur perruque poudrée. Il y a des femmes, aussi. Cette vision le glace d'épouvante, mais il éprouve également d'autres sentiments. De la curiosité, oui, c'est certain. Et de la fascination. Ces êtres sont morts et, pourtant, déplacés par les mouvements des piques, leurs visages se tournent de part et d'autre, comme s'ils tentaient d'évaluer la situation. Dans les jeux d'ombre et de lumière, leurs traits s'animent et leurs lèvres murmurent des secrets.”
Ce qui sublime le récit :
Le roman débute comme un polar classique avec la découverte du premier crime, des premiers indices et les premières hypothèses. L’auteur, comme un chef décorateur de cinéma, reconstitue la vie des Parisiens de 1807, entre misère totale et luxe absolu.
Puis, progressivement, le récit monte des marches qui le mène vers une histoire plus large, celle de l’Europe cabossée du début du XIXe siècle. Cela se traduit d’abord par des dialogues très réussis impliquant les principaux acteurs du Premier Empire (et des célébrités locales comme le marquis de Sade), mais aussi par la projection des protagonistes de l’enquête sur les murs de la géopolitique napoléonienne.
C’est cette construction étonnante, en plus du style à la fois sobre et imagé de l’auteur, qui m’a séduit dans ce polar qui devient, au fil des pages, un roman d’aventure. Recommandé !
👉Pour aller plus loin :
Rien de tel que le podcast Storiavoce pour comprendre l’Histoire. Ceux qui souhaitent se plonger dans la géopolitique franco-espagnole de 1808 y trouveront leur compte : cet épisode de Storiavoce les rassasiera d’Histoire. Quant au Napoléon de Jean Tulard, c’est un incontournable pour saisir la vie et l’œuvre de Bonaparte.
5 - Les Dieux ont soif (Anatole France)
Paris à l’époque de la Terreur comme si vous y étiez. De quoi perdre la tête.
L’histoire (sans spoilers) :
L'histoire s'ouvre à Paris, en cette année terrible de 1793.
Évariste Gamelin, jeune peintre que la gloire boude, embrasse la Révolution avec l'ardeur d'un converti. Ce zèle trouve vite sa récompense : le voici nommé juré au Tribunal révolutionnaire, où son âme implacable sert docilement la soif de sang qui dévore le Comité de salut public de Robespierre.
Ce récit nous raconte l'ascension d'un jeune homme persuadé d'accomplir une œuvre salutaire en livrant des milliers d'âmes à la guillotine. « La guillotine sauve la patrie ! » répète-t-il avec cette tranquille assurance des esprits que le doute n'effleure jamais.
Extrait du roman :
“Les choses sont par elles-mêmes mélangées et pleines de confusion; la complexité des faits est telle qu'on s'y perd. Robespierre les lui simplifiait, lui présentait le bien et le mal en des formules simples et claires. Fédéralisme, indivisibilité: dans l'unité et l'indivisibilité était le salut; dans le fédéralisme, la damnation. Gamelin goûtait la joie profonde d'un croyant qui sait le mot qui sauve et le mot qui perd.”
Ce qui sublime le récit :
Évariste incarne l'idéaliste dans sa pureté première. Il veut sincèrement servir le bien, car son cœur bat au rythme des idéaux révolutionnaires. Et pourtant, ses mains ne sèmeront que le mal, sa compassion se muera en cruauté. Voilà ce que nous raconte Les Dieux ont soif : l'histoire d'idées nobles qui, détournées de leur cours, conduisent à l’inhumanité.
C’est aussi une galerie de personnages tous plus intéressants les uns que les autres. Outre Évariste et sa compagne, nous faisons connaissance avec Jean Blaise, père de cette dernière, homme habile et retors qui navigue dans les eaux troubles de l'époque. Paraît aussi Brotteaux, ancien fermier général que la Révolution a ruiné. Sceptique, athée, épicurien, voltairien, rétif à toute idéologie comme à tout fanatisme, Brotteaux observe son époque avec cette ironie tranquille des âmes désabusées. C’est l’anti-Gamelin.
Et puis il y a la plume ciselée, ironique et distante d'Anatole France, prix Nobel de littérature en 1921.
👉Pour aller plus loin :
Je me suis lancé dans la lecture de ce roman après avoir écouté l’émission Répliques consacrée aux aventures d’Évariste Gamelin. Pour approfondir le contexte historique, on peut aussi explorer la Terreur et le Tribunal révolutionnaire grâce à l’excellente émission Storiavoce (toujours aussi passionnante !).
Et voilà ! J’espère que ce nouveau format vous a plu. Si c’est le cas, nous renouvelerons l’expérience avec Sophie que je remercie d’avoir joué le jeu !
En attendant, partagez vos propres coups de cœur en commentaires – toutes les recommandations sont les bienvenues !
À très vite,
Alexandre
Je vous vois venir : les Russes ne vivant pas des hivers particulièrement tropicaux non plus, un petit moins 40 ne devaient pas leur faire peur.
Sauf que.. sans dévoiler l’intrigue, disons qu’entre défendre sa vie sur un terrain que l’on connait comme sa poche et envahir une région que l’on ne connait pas, à “-40”, ça fait une énorme différence.
Pour rappel, si les ruines de Troie ont bien été découvertes (dans l’actuelle Turquie), il n’existe aucune preuve historique que les guerres de Troie aient réellement eu lieu.
Pas d’inquiétude, on n’est pas dans le Grand Guignol non plus.
Pensez aux Contes de Noël de Dickens, publiés en 1843, ou aux Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, publiés en 1847 (pour ne citer qu’eux), et vous aurez une petite idée de l’importance du merveilleux et de l’ésotérisme dans la société anglaise du milieu du XIXᵉ siècle.
Quelque chose d’assez difficile à saisir pour nous, grands cartésiens français, biberonnés dès l’enfance aux pensées voltairiennes et rousseauistes.