3 méditations du stoïque Marc AurÚle
Retour sur les mĂ©ditations stoĂŻciennes de lâempereur philosophe.
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Les mĂ©ditations de Marc AurĂšle dans âPensĂ©es pour moi-mĂȘmeâ en font un des plus cĂ©lĂšbres reprĂ©sentants du stoĂŻcisme.
« Respice post te. Hominem te esse memento ! »
AprĂšs quatre ans sur le front, câest le jour du triomphe romain pour Lucius Verus vainqueur de nombreuses campagnes militaires dans lâest de lâempire. Comme le veut la coutume, il porte une couronne de lauriers, quelques branches dans une main et dans lâautre un sceptre en ivoire.
Sur le char tirĂ© par quatre chevaux, il est accompagnĂ© dâun esclave qui tient au-dessus de sa tĂȘte une couronne dâor et lui rĂ©pĂšte « Regarde derriĂšre toi. Rappelle-toi que tu nâes quâun homme ! ». Ainsi, Lucius nâest pas un dieu malgrĂ© toutes les ovations reçues. Il est bel et bien mortel.
Son aĂźnĂ© Marc AurĂšle, nâa pas besoin que lâon le lui rappelle. Ses notes rassemblĂ©es dans « PensĂ©es pour moi-mĂȘme » tĂ©moignent de sa sagesse. Ernest Renan le dĂ©crit comme "lâhomme le meilleur et le plus grand de son siĂšcleâ. Sans cette sagesse lĂ©gendaire, comment aurait-il pu gouverner pendant huit ans (de 161 Ă 169) avec celui dont on fĂȘte le triomphe ce jour-lĂ , ce frĂšre donnĂ© par le jeu des adoptions ? Ce frĂšre qui est aussi son exact contraire.
La tradition aurait voulu que Marc AurĂšle soit lâunique empereur. Comme Antonin Le Pieux, comme Trajan et comme Hadrien. Ce dernier avant de mourir a pris soin de marquer sa prĂ©fĂ©rence pour un empire bicĂ©phale. En tant quâaĂźnĂ©, il suffisait que Marc AurĂšle sây oppose, ce quâil nâa pas fait.
« Il y a sĂ»rement une part de conviction personnelle dans ce choix. Il se dit quâil a besoin de se faire aider et refuse Ă©galement le jeu de la violence politique. » BenoĂźt Rossignol, auteur de Marc AurĂšle, Ă©dition Perrin.
Ce gouvernement Ă deux tĂȘtes lui permet aussi dâavoir un successeur dĂ©signĂ© en lâabsence de descendance mais aussi de profiter de la popularitĂ© de Verus au sein de lâarmĂ©e.
Entre les deux âcoempereursâ, la rĂ©partition des rĂŽles se fait naturellement.
à Lucius Verus le rÎle du jouisseur, aimant les fastes du pouvoir, aimé par le peuple. à Marc AurÚle, celui du politique austÚre et travailleur, proche du Sénat. à Lucius le prestige des campagnes militaires contre les Parthes et les hordes barbares. à Marc la charge politique et législative. Lucius Virus est le glaive, Marc AurÚle, la loi.
Ainsi va le tandem huit ans durant jusquâĂ la mort soudaine de Lucius en 169 (probablement de la variole, trĂšs prĂ©sente Ă lâĂ©poque).
Marc AurĂšle lui rend alors un bel hommage et Rome dĂ©cide de le diviniser. Le cadet devient ainsi Divinus Lucius donnant finalement tort Ă lâesclave qui lâa accompagnĂ© le jour de son triomphe.
Marc AurĂšle, avec et sans son frĂšre, fait face Ă plusieurs crises majeures pendant son rĂšgne ; grande peste, invasions barbares du Norique et de la RhĂ©tie, ou encore coalition des Marcomans, des Quades, des Sarmates et des Iazygues Ă lâest de lâempire.
Chaque jour, Marc AurĂšle documente avec de courtes notes ses pensĂ©es du jour. Sâil ne parle pas des champs de bataille, il partage sa philosophie, aussi facile Ă comprendre sur la forme quâexigeante sur le fond. Son grand mĂ©rite est dâaider celui qui la pratique Ă retrouver une certaine paix dâesprit.
Le stoĂŻcisme, philosophie de la paix dâesprit
Marc AurĂšle est un des trois piliers du stoĂŻcisme avec SĂ©nĂšque et EpictĂšte bien quâil ne se rĂ©clame jamais de ce mouvement.
Quâest-ce que le stoĂŻcisme ?
Roger-Pol Droit le défini ainsi :
âLa singularitĂ© des StoĂŻciens est de fonder sur la nature une Ă©thique de la vertu. Ă leurs yeux, vivre sous la conduite de la raison, dĂ©cider conformĂ©ment au vrai et au bien, accorder une absolue prioritĂ© Ă la volontĂ© en toutes circonstances, câest vivre conformĂ©ment Ă ce quâest notre nature dâĂȘtre rationnelâ dans Une brĂšve histoire de la philosophie.
Marc AurĂšle nous fait le cadeau dans les premiĂšres pages de ses âPensĂ©esâ du rĂ©sumĂ© sa philosophie :
âEt la philosophie consiste en ceci : Ă veiller Ă ce que le gĂ©nie qui est en nous reste sans outrage et sans dommage, et soit au-dessus des plaisirs et des peines, Ă ce quâil ne fasse rien au hasard, ni par mensonge ni par faux-semblant, Ă ce quâil ne sâattache point Ă ce que font les autres font ou ne font pas. Et, en outre, Ă accepter ce qui arrive et ce qui lui est dĂ©volu, comme venant de lĂ mĂȘme d'oĂč lui-mĂȘme est venu. Et surtout, Ă attendre la mort avec une Ăąme sereine sans y voir autre chose que la dissolution des Ă©lĂ©ments dont est composĂ© chaque ĂȘtre vivant.â
Ce paragraphe synthĂ©tise Ă merveille le contenu de ses notes et sa ligne de conduite, âson souffle directeurâ. Autre avantage : on y trouve tout ce qui amĂšne celui qui pratique cette philosophie Ă une certaine sĂ©rĂ©nitĂ© dâesprit.
Comme âŠ
Accepter les événements sans les juger
Il y a selon Marc AurĂšle un grand Tout orchestrĂ© par la providence. Ce nâest pas la peine de se battre contre les Ă©vĂ©nements.
âQuoi que ce soit qui tâarrive, cela tâĂ©tait prĂ©parĂ© de toute Ă©ternitĂ©, et lâenchaĂźnement des causes avait filĂ© ensemble pour toujours et ta substance et cet accident.â
Si vous tombez dans la rue et que vous vous cassez la jambe, ce nâest pas par hasard. Câest un Ă©lĂ©ment du grand Tout. Vous nây pouvez pas grand-chose et le pire serait de juger cela comme injuste et de pester. Mieux vaut accepter la situation et la prendre en compte dans vos actions afin que la douleur psychologique ne sâajoute pas Ă la douleur physique.
âFinalement, ne dĂ©pend de moi que ma volontĂ©, le contrĂŽle de mon esprit. Ne dĂ©pends PAS de moi ⊠Tout le reste ! [âŠ] Lâessentiel est que moi, je ne varie pas en fonction de ces circonstances, que je sache, malade ou non, emprisonnĂ© ou pas, MaĂźtre ou esclave, tenir le contrĂŽle de mes pensĂ©es et de mes dĂ©cisionsâ. Roger-Pol Droit dans Une brĂšve histoire de la philosophie
Marc AurĂšle enfonce le clou :
âIl faut aimer ce qui tâarrive [âŠ] parce que cela Ă©tait fait pour toi, te correspondait et survenait en quelque sorte Ă toi, dâen haut, de la chaĂźne des plus antiques causesâ.
Ainsi, il faut accepter les Ă©vĂ©nements sans les juger ni les nier. Câest le premier secret pour trouver la paix intĂ©rieure.
Accepter les autres sans les juger
Ce qui est vrai pour les Ă©vĂ©nements, lâest aussi pour ses semblables. Ils font partie aussi du grand Tout.
« DĂšs l'aurore, dis-toi par avance : « Je rencontrerai un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable. Tous ces dĂ©fauts sont arrivĂ©s Ă ces hommes par leur ignorance des biens et des maux. Pour moi, ayant jugĂ© que la nature du bien est le beau, que celle du mal est le laid, et que la nature du coupable lui-mĂȘme est d'ĂȘtre mon parent, non par la communautĂ© du sang ou d'une mĂȘme semence, mais par celle de l'intelligence et d'une mĂȘme parcelle de la divinitĂ©, je ne puis Ă©prouver du dommage de la part d'aucun d'eux, car aucun d'eux ne peut me couvrir de laideur. Je ne puis pas non plus m'irriter contre un parent, ni le prendre en haine, car nous sommes nĂ©s pour coopĂ©rer, comme les pieds, les mains, les paupiĂšres, les deux rangĂ©es de dents, celle d'en haut et celle d'en bas. Se comporter en adversaires les uns des autres est donc contre nature, et c'est agir en adversaire que de tĂ©moigner de l'animositĂ© et de l'aversion. »
Autrement dit, lĂ aussi, il faut accepter les autres sans les juger afin de mieux vivre ensemble, ce qui correspond Ă notre nature profonde.
Avoir conscience de lâĂ©chĂ©ance finale
Lâinvitation de Marc AurĂšle Ă prendre du recul dans toute situation concerne aussi notre propre mort. Nous ne sommes pas grand-chose.
« Le temps de la vie de lâhomme, un instant ; sa substance fluente ; ses sensations, indistinctes ; lâassemblage de tout son corps, une facile dĂ©composition ; son Ăąme, un tourbillon ; son destin, difficilement conjecturable ; sa renommĂ©e, une vague opinion. Pour le dire en un mot, tout ce qui est de son corps est eau courante ; tout ce qui est de son Ăąme, songe et fumĂ©e. Sa vie est une guerre, un sĂ©jour sur une terre Ă©trangĂšre ; sa renommĂ©e posthume, un oubli. »
Inutile de chercher le triomphe romain ou toute autre gloriole car Ă la fin des fins, câest bien le mĂȘme destin qui nous attend. Aussi, le rĂ©sultat Ă©tant le mĂȘme, autant consacrer sa vie Ă la recherche du bien et de la vertu et sâĂ©loigner le plus possible de ce qui peut nous dĂ©vier de ce chemin et de notre principe directeur.
âNâagis point comme si tu devais vivre des milliers dâannĂ©es. LâinĂ©vitable est sur toi suspendu. Tant que tu vis, tant que cela tâest possible, deviens homme de bien.â
Depuis quelques paragraphes, jâĂ©voque le Principe directeur. On peut le dĂ©finir comme le fait que tout homme ou femme a une mission Ă laquelle il doit consacrer sa vie.
âTout ce que je suis, câest une chair avec un souffle et un principe directeurâ.
Et toute occasion perdue de suivre ce principe, ce souffle, ne se rattrape pas.
âInsensĂ©s, en effet, sont ceux qui, Ă force d'agir, sont fatiguĂ©s par la vie, et n'ont pas un but oĂč diriger tout leur Ă©lan et, tout Ă la fois, leur pensĂ©e tout entiĂšre.â
Ainsi, il ne faut pas confondre agitation et action.
Conclusion sur les méditations de Marc AurÚle
Au fond, Marc AurÚle nous invite à nous libérer de nos sentiments face aux événements afin de mieux mobiliser notre raison.
Il joue aussi parfois auprĂšs du lecteur le rĂŽle de lâesclave qui rappelle Ă lâempereur triomphant la fragilitĂ© de sa nature en dĂ©pit des apparences. Il nous dit âRespice post te. Hominem te esse memento !â
Regarde derriĂšre toi. Rappelle-toi que tu nâes quâun homme !
Sources :
Les 3 Ă©pisodes de podcast de Storiavoce
BrĂšve histoire de la philosophie, Roger-Pol Droit
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Alexandre
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