Devenir un fin stratège comme Machiavel
Nous répondrons à la question que tout le monde se pose : Machiavel était-il machiavélique ?
Les leçons de leadership de Machiavel nous invitent à revoir nos jugements moraux. C’est sans doute cela le plus intéressant avec la lecture du Prince.
Nous nous souvenons tous de ce que nous faisions le 11 septembre 2001 ou le 7 janvier 2015. Peut-être vous souvenez-vous également de l’endroit où vous étiez le 8 janvier 1996 au moment où vous avez appris la mort de François Mitterrand.
La nouvelle est venue à mes oreilles alors que je suivais un cours d’art plastique sur la Renaissance italienne en classe de seconde. La Renaissance italienne, c’est le temps de Léonard de Vinci, de Raphaël, de Michel-Ange, de Laurent le Magnifique, de l’apogée de Florence, et d’un certain Nicolas Machiavel.
Ce dernier a inspiré et inspire encore bon nombre de dirigeants. Peut-être est-ce le cas de François Mitterrand, surnommé le Florentin pour son habileté politique “machiavélique” selon ses adversaires. Question de point de vue sans doute. En aucun cas un compliment.
C’est que Machiavel a depuis sa mort une mauvaise réputation qui vaut à son nom d’être aujourd’hui la racine d’un adjectif peu flatteur. Être machiavélique, c’est faire preuve de ruse et de perfidie pour atteindre un objectif destructeur. La faute à un texte, “Le Prince”, adressé à Laurent de Médicis le jeune et publié en 1532 soit 5 ans après sa mort.
Cet ouvrage d’une centaine de pages est une sorte de guide pratique pour les princes, héritiers ou nouveaux, qui souhaitent conquérir mais surtout garder le pouvoir. 26 chapitres au long desquels l’ex-secrétaire de chancellerie florentin partage son analyse avec un certain sens de la formule en s’appuyant sur l’Antiquité et l’histoire de ses contemporains.
“Le Prince” retrace plus de 1500 ans d’Histoire pour mieux faire tomber les faux-semblants sur la vérité du pouvoir, que l’on voudrait “moral”. Très loin de la philosophie de Saint Augustin, il aborde le sujet de la conquête et de la conservation du pouvoir non pas comme une affaire d’idéal, de religion ou de morale mais une affaire de force, d’efficacité et de fortune, c’est-à-dire au sens de Machiavel, de circonstance. C’est la naissance du réalisme politique.
“La mutation introduite par la pensée de Machiavel consiste somme toute à chercher la vérité du monde tel qu’il est. Cesser de juger, de se lamenter, de rêver, de confondre nos désirs et la réalité.” Roger-Pol Droit dans “Une brève histoire de la philosophie”.
Nous passons de la vertu qui nous amène à agir en accord avec la loi divine, à la virtù, c’est-à-dire selon Roger-Pol Droit dans sa Brève histoire de la philosophie, “la force, la capacité à agir, l’efficacité dont on a fait preuve dans une action dont le résultat est l’unique critère de jugement”.
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Comme la morale n’est plus un sujet, tout est permis. Mais si tout est permis, tout est-il possible si l’on veut conquérir et conserver le pouvoir ? Non et c’est justement l’un des messages principaux de Machiavel très souvent oublié et qui pourtant constitue le cœur de son ouvrage.
Alors que pouvons-nous retenir de la pensée machiavélienne ? Est-elle encore assez d’actualité pour servir au quotidien en étant machiavélien sans être machiavélique ?
Mais avant de nous plonger dans ces réflexions, il faut d’abord comprendre Machiavel et pour cela, il faut comprendre son temps.
Machiavel vit au XVème siècle dans la cité-État de Florence alors en plein tumulte.
Les Médicis gouvernent la cité. On se souvient tous de Laurent le Magnifique, prince éclairé et charismatique à qui l’on doit notamment d’avoir révélé Michel-Ange et d’autres artistes de son époque. Son fils Pierre II négligeant l’opinion publique et religieuse est contraint à l’exil après l’invasion de la Toscane par les troupes françaises de Charles VIII.
C’est alors que Jérôme Savonarole, un prédicateur dominicain, prend le pouvoir et impose une théocratie.
Cette république chrétienne et religieuse pèse rapidement sur la population (Machiavel inclus) qui l’amène finalement sur le bûcher en 1498, laissant la place à un pouvoir républicain faible tenu par Pier Soderini.
Celui-ci s’appuie sur Machiavel à la chancellerie qui travaille à l’amélioration des relations avec l’Allemagne et la France. C’est à ce poste qu’il a l’occasion de rencontrer César Borgia, fils du pape Alexandre VI, conquérant connu pour ses succès mais aussi pour sa cruauté. Il inspire à Machiavel quelques chapitres dans Le Prince.
Aidés par le Pape Jules II et l’armée Espagnole, les Médicis reprennent la cité.
Soupçonné, à tort, d’être impliqué dans un complot républicain, Machiavel rédige “Le Prince” en 1513 après avoir été déchu de ses fonctions (et avoir subi l’horrible supplice de l’estrapade).
Il entreprend de plaider sa cause auprès du nouveau pouvoir et c’est pourquoi “Le Prince” commence par une dédicace au “Magnifique Laurent de Médicis le Jeune” (à ne pas confondre avec Laurent le Magnifique).
Oser sortir du dogme
Machiavel voit donc en quelques années de nombreux pouvoirs se succéder et échouer alors que tout semble sourire au redouté César Borgia. Il a également vu la limite de la vertu et de la morale au pouvoir avec Jérôme Savonarole.
C’est avec tout cela en tête qu’il commence à rédiger le Prince en 1513.
À ce stade, nous pourrions nous dire que Le Prince est une œuvre à la vue courte qui ne considère que les événements que lui-même a pu voir se dérouler devant lui. Mais c’est là où son analyse devient plus intéressante. Voici ce qu’il dit dans sa dédicace d’introduction :
“Désirant donc pour ma part m’offrir à votre Magnificence avec quelque témoignage de mon dévouement à son égard, je n’ai rien trouvé, dans mon attirail, chose qui me soit plus chère ou que j’estime plus que la connaissance des actions des grands hommes, apprise par moi d’une longue expérience des choses modernes et d’une continuelle leçon des anciennes ; les ayant, avec grande diligence, mûries et examinées et réduite à présent en un petit volume, je les envoie à votre Magnificence.”
Il ne se contente pas de capturer l’esprit du temps mais creuse bien sa réflexion à l’aune des leçons de l’Histoire et de l’antiquité notamment. Quitte à “vendre la mèche” comme le dit Bruno Jarrosson, auteur d’une “Histoire de la Stratégie” et à remuer des esprits avachis trop confortablement dans leur canapé de certitudes consensuelles.
Écoutons-le :
Machiavel nous invite en faisant cela à réfléchir au-delà des idées du moment, des dogmes et des conventions pour aller chercher la vérité sur le temps long et à voir ce que l’on voit sans se censurer.
Voilà une belle façon d’être machiavélien sans être machiavélique.
Éviter à tout prix la haine
Machiavel insiste très tôt sur la difficulté de sa démarche et le lien entre le prince et le peuple :
“Et je ne veux pas que l’on impute à la présomption qu’un homme de bas et infime état s’enhardisse à discourir et réduire à des règles les gouvernements des princes, parce que , comme ceux qui dessinent les pays s’établissent dans la plaine pour considérer la nature des montagnes et des autres lieux hauts, et pour considérer celle des lieux bas, s’établissent en haut sur les montagnes, de même, pour connaître bien la nature des peuples, il faut être prince et pour connaître bien celles des princes, il convient d’être du peuple.”
Naviguant en tant que diplomate entre les deux mondes, celui du peuple et celui des princes, Machiavel, dans le chapitre IX, établie l’équilibre nécessaire à la conservation du pouvoir et cela passe justement par une bonne compréhension des aspirations des différents niveaux de la société.
C’est d’ailleurs une des originalités de l’ouvrage :
“La deuxième rupture opérée par la pensée de Machiavel est en effet de centrer l’analyse politique sur le jeu des passions humaines.” Roger-Pol Droit dans “Une brève histoire de la philosophie”.
Il y a en haut de la pyramide le prince bien sûr, puis “les grands” et enfin le peuple avec à chaque niveau des aspirations, qui s’opposent :
“Parce que dans toute cité se trouvent ces deux humeurs diverses - cela vient de ce que le peuple désire ne pas être commandé ni opprimé des grands, et les grands désirent commander et opprimer le peuple ; et de ces deux appétits divers naît dans la cité un des trois effets - ou principat ou liberté ou licence.”
Le prince peut être haï des grands mais jamais du peuple. Il lui faut donc si ce n’est être aimé, en tout cas éviter absolument d’être rejeté violemment par le peuple. C’est ce qui est arrivé à Savonarole par exemple. Cela lui a été fatal.
Le prince doit éviter d’être avare ou de changer d’avis trop facilement afin de rester légitime auprès des habitants de son principat. C’est la clé pour rester au pouvoir, quitte à se mettre quelques “grands” à dos.
Toujours préparer la bataille à venir
Machiavel insiste dans le chapitre XIII sur la nécessité de s’appuyer sur ses propres armes et ses propres soldats. Exit les mercenaires :
“Un prince sage a donc toujours fui ces armes (N.D : il parle des mercenaires) et s’est tourné vers les armes propres et il a plutôt voulu perdre avec les siens que vaincre avec autrui, jugeant que la victoire qui s’acquerrait avec les armes d’autrui ne serait pas vraie.”
L’ex-secrétaire de chancellerie va plus loin dans le chapitre XIV en invitant les princes à toujours manier les armes, même en temps de paix, afin de rester “respectables”, notamment au travers des parties de chasses qui permettent de connaître par cœur le territoire, d’imaginer les scénarios d’attaques possibles et les contre-offensives les plus efficaces.
“Il ne doit par conséquent jamais éloigner la pensée de cet exercice de la guerre et dans la paix, il doit s’y exercer plus que dans la guerre".
Ce faisant, le prince gagne aussi le respect de ceux qui auront à risquer leur vie pour lui : les soldats.
D’ailleurs, le chapitre XVIII invite le prince à être remarquable notamment en ayant toujours de grands, simples et justes projets que tout le monde peut s’approprier (et qui ont aussi l’avantage d’occuper les esprits à d’autres choses que celles qui pourraient nuire au prince, ce qui peut facilement s’imaginer dans les forces armées).
Car conserver le pouvoir, c’est bien beau. Encore faut-il l’exercer et pour cela avoir un projet :
“Machiavel ne dit pas et ne pense pas que le seul objectif de l’exercice soit de conserver le pouvoir. Machiavel n’est pas un cynique qui ne pense qu’à jouir du pouvoir. Il s’agit bien de l’exercer pour une idée du bien” dans “De Sun Tzu à Steve Jobs, une histoire de la stratégie”, Burno Jarrosson.
Construire ses propres armes, savoir les utiliser et connaître au mieux son territoire, partager de grandes, justes et simples ambitions, voilà une autre façon d’être machiavélien aux XXIe siècle.
Conclusion
Vous vous souvenez peut-être du film “L’aile ou la cuisse” avec Louis de Funès, alias Charles Duchemin, patron des guides culinaires Duchemin, Coluche dans le rôle de son fils, mais aussi l’excellent Julien Guiomar qui joue l’antagoniste milliardaire Jacques Tricatel et Philippe Bouvard dans son propre rôle.
Charles Duchemin veut confondre publiquement Tricatel lors d’un débat télévisé animé par l’animateur lui-même. Mais par le jeu des passions humaines, l’idée venant de Duchemin lui-même, aucune chance que Tricatel l’accepte.
Le patron du guide demande donc à Bouvard de convaincre son adversaire en utilisant un stratagème machiavélique : lui faire croire que l’idée vient de lui.
Lors d’une rencontre entre le journaliste et le milliardaire, le malicieux Philippe Bouvard y arrive très facilement et feint de se demander comment il allait faire pour convaincre Charles Duchemin de participer au débat.
Tricatel lui propose alors… De lui faire croire que l’idée vient de lui à son tour. S’ensuit ce dialogue fameux :
- Philippe Bouvard : Je pense, Monsieur Tricatel, que vous êtes l'héritier de Machiavel.
- Jacques Tricatel, l’air offusqué : Alors là je vous arrête, je ne suis pas un fils à papa, je me suis fait tout seul !
Machiavel nous offre avec “le Prince” les clés pour mieux décrypter l’usage du pouvoir par nos dirigeants. C’est un formidable outil et la raison ultime de devenir à notre tour les héritiers de Machiavel en lisant “Le Prince”.
Morale de l’Histoire
Il faut se construire une culture du leadership qui aille au-delà des tendances du moment et de son expérience personnelle.
Le rapport avec les gens sur le terrain est essentiel, sans eux rien n’est possible. Il faut à tout prix éviter d’être haï par eux.
Pour garder le pouvoir, il faut s’être doté de ses propres armes, ne pas rester oisif en temps de paix, toujours préparer la guerre en parcourant le terrain sans relâche, et partager de grandes, simples et justes ambitions qui impliqueront tout le monde.
Et vous que retenez-vous ? Dites-le-moi dans les commentaires sur le blog !
Une vidéo bonus
Un entretien passionnant avec Jean-Louis Fournel, spécialiste de l’Italie de la Renaissance et de Machiavel :
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“Une brève histoire de la philosophie”, Roger-Pol Droit
De Sun Tzu à Steve Jobs, une histoire de la stratégie, Bruno Jarrosson
Bonne semaine à tous !
Alexandre
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Que est que l’autorité sans l’autorisation?