Tout le contenu de Morale de lâHistoire est en libre dâaccĂšs afin dâĂȘtre lu par un maximum de personnes. Si vous souhaitez marquer votre soutien Ă Morale de lâHistoire, câest possible en souscrivant Ă un abonnement mensuel (le prix de 3 âïž par mois) ou annuel (2 âïž par mois). Un grand merci Ă ceux qui le feront !
Qui nâa pas rĂȘvĂ© dâĂȘtre une petite souris Ă lâElysĂ©e ? DâĂ©couter sans y ĂȘtre invitĂ© les conversations du prĂ©sident ? Et pour le curieux que je suis, de comprendre comment fonctionne concrĂštement celui qui exerce le pouvoir ?
Câest lâexpĂ©rience que nous propose lâenregistrement de cette rĂ©union tĂ©lĂ©phonique Ă lâElysĂ©e.
Il sâagit dâun document exhumĂ© des archives nationales, passĂ© entre les mains de lâĂ©crivain essayiste Patrick Samuel et du journaliste Benjamin Sire et que jâai dĂ©couvert via le compte X Gaullisme (Merci Ă eux pour cette dĂ©couverte).
Câest un enregistrement rare et exceptionnel.
Je vous invite Ă lâĂ©couter.
Je vais pour ma part redonner le contexte de cet enregistrement.
Nous sommes en fĂ©vrier 1962. La grande affaire du GĂ©nĂ©ral de Gaulle depuis son arrivĂ©e au pouvoir est dâen finir avec la guerre dâAlgĂ©rie aprĂšs 7 ans de conflit. Par deux fois, des nĂ©gociations secrĂštes entre le gouvernement français et les reprĂ©sentants du FLN (Front de LibĂ©ration National) sont interrompues.
Afin de faire revenir les nĂ©gociateurs algĂ©riens, De Gaulle fait planer lâidĂ©e dâune partition du territoire. Ainsi, il y aurait une partie française de lâAlgĂ©rie et une autre algĂ©rienne. Il se sert pour cela du jeune Alain Peyrefitte, alors dĂ©putĂ©. Ce dernier, missionnĂ© par De Gaulle et Pompidou, va dĂ©crire dans une sĂ©rie de tribunes dans le journal Le Monde ce scĂ©nario de gĂ©opolitique fiction.
Lâobjectif pour le gouvernement français est de faire monter en puissance la probabilitĂ© de ce scĂ©nario repoussoir pour les AlgĂ©riens afin de prĂ©cipiter lâouverture de nouvelles nĂ©gociations secrĂštes.
Alain Peyrefitte retranscrit dans CâĂ©tait de Gaulle une discussion avec le GĂ©nĂ©ral qui va dans ce sens :
Il ne serait pas mauvais que le FLN se rende compte qu'on va forcĂ©ment vers ça, s'il continue Ă fuir le contact. La solution nĂ©gociĂ©e n'aboutira qu'Ă la condition que nous en ayons une autre toute prĂȘte. Il faut avoir deux fers au feu. Vous qui Ă©crivez, pourquoi n'approfondiriez-vous pas cette solution dans des articles de journaux ? »
En me raccompagnant Ă la porte, il me dit simplement :
« Inutile de parler de notre entretien à quiconque.»
« Inutile »
Câest Ă©videmment une litote pour : « Interdit.»
Ăa marche et les nĂ©gociateurs vont⊠NĂ©gocier.
Marchandages innombrables, discussions passionnĂ©es dans une ambiance de film policier. Les membres des services de sĂ©curitĂ© français et algĂ©riens, cĂŽte Ă cĂŽte, en manches de chemise dans des piĂšces surchauffĂ©es, le pistolet sous lâaisselle ou Ă la ceinture, se relayaient pour observer par les fenĂȘtres dont les vitres Ă©taient couvertes de condensation, les abords du chalet.
Yves CourriĂšre, La Guerre dâAlgĂ©rie (1958-1962), Ăditions Fayard
Ils se rassemblent Ă partir du 18 fĂ©vrier 1962 dans la station des Rousses dans le Jura pendant plus dâune semaine afin dâĂ©crire la base de ce que deviendront les accords dâĂvian signĂ©s le 18 mars 1962 puis ratifiĂ©s par deux rĂ©fĂ©rendums.
Car lâobjectif du GĂ©nĂ©ral est clair et il le rappelle dans la note quâil dicte dans cet enregistrement : le Cessez-le-feu en AlgĂ©rie et lâautodĂ©termination.
Louis Joxe, ministre dâĂtat des affaires algĂ©riennes, est prĂ©sent sur place ainsi que Robert Buron, ministre des transports et Jean de Broglie. Ils rendent compte tous les jours par tĂ©lĂ©phone au GĂ©nĂ©rale de Gaulle et Ă son premier ministre Michel DebrĂ© de la progression des nĂ©gociations. Câest un de ces appels qui est capturĂ© ici.
Pour terminer cette Ă©dition, je ne vais pas mâappesantir sur le fond, mais plutĂŽt sur la forme que je trouve trĂšs intĂ©ressante.
De Gaulle est moins martial que je ne mây attendais. Le terme de bienveillance friserait lâanachronisme, mais je ne perçois que trĂšs peu dâagacement ou dâimpatience dans cette conversation malgrĂ© la pauvre qualitĂ© de lâappel. En tout cas aucune nervositĂ© de sa part. Le ton devient presque amical (dans la limite de lâexercice) en toute fin de conversation.
âDites bien des choses Ă Buron et Broglieâ
On remarque aussi que câest bien De Gaulle qui âanimeâ la rĂ©union et sâoccupe presque de la logistique. Il passe la parole, et formalise son dĂ©roulement et pose des questions afin de clarifier. Notamment au dĂ©but lorsque la position des nĂ©gociateurs nâest pas claire en cas de refus de lâaccord. De Gaulle intervient pour amener Joxe Ă proposer une posture dans ce cas.
Enfin, comment ne pas esquisser un sourire lors du passage de la laborieuse dictée de la note que Joxe a pour mission de la sténographier ? Pas de chance, il y a des coupures.
Au fond, cet enregistrement, câest la rencontre entre des questions cruciales et concrĂštes, le ton dĂ©clamatoire et pompeux de De Gaulle quand il veut affirmer une position et la trivialitĂ© dâune technique pas toujours au rendez-vous.
Qui nâa jamais vĂ©cu ça ?
Sources en plus de lâenregistrement original :
CâĂ©tait de Gaulle, Alain Peyrefitte
Le podcast âAux Rousses en 1962, les nĂ©gociations secrĂštes franco-algĂ©riennesâ
Quelques lectures à découvrir
Chaque semaine, je partage avec vous mes coups de cĆur dâautres crĂ©ateurs.
à bientÎt !
Si vous identifiez des erreurs, merci de m'informer par e-mail en répondant à ce message.
âAlexandre