Bonjour à tous,
Revenons une nouvelle fois sur l’histoire de notre pays pour cette première édition de la saison.
J’ai lu cet été le livre d’Eric Anceau1 “Histoire de la nation française : du mythe des origines à nos jours”2. À travers les cinq cents pages de cet ouvrage, on saisit mieux les événements qui, transmis de génération en génération, ont forgé puis renforcé le sentiment national.
Je vous invite donc à revenir, à travers ce livre passionnant, sur quelques étapes clés du développement de la nation française jusqu’à la fin du XIXème siècle.
Bonne lecture,
Alexandre
🔥 Un immense merci aux 100 nouveaux abonnés qui nous ont rejoints cet été ! J’espère que ce numéro saura vous captiver ( et vous donner envie de rester avec nous 🤓)
Qui réfléchit à la nation croise inévitablement sur son chemin Ernest Renan et son célèbre discours de 1882. Il découvre alors que la nation n'est ni une langue, ni une race, ni un territoire. C'est d'abord « l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements »3. C'est « avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent : avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore ». C'est le fameux « plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie ».
On le dit moins souvent, Renan ne se limite pas à la définition des nations dans son texte. Il s'interroge aussi sur leur pérennité et prédit qu'elles ne sont pas éternelles, qu'une « confédération européenne » les remplacera probablement.
Si l'Union européenne est une réalité, la fin de la nation ne l’est pas. Quatre-vingt-douze pour cent des Français sont fiers de l'être4. C'est le résultat de mille ans d'histoire que cette Histoire de la nation française, publiée chez Tallandier en février 2025, nous raconte.
À l’origine, des milliers d’églises
À la lecture du livre d'Eric Anceau, on comprend que les outils utilisés pour construire brique après brique la nation ont différé selon les époques.
C’est à la monarchie capétienne que nous devons les premières esquisses de la nation, qu’elle encourage et instrumentalise pour faire face aux crises successives. Pour cela, Hugues Capet et ses descendants vont s'appuyer — et pas exclusivement — sur la religion.
« L'idée que le roi est le "fils aîné de l'Église", source de fierté pour les Français du Moyen Âge, repose sur cinq piliers : l'antériorité de sa conversion, ses relations privilégiées avec le pape, le sentiment qu'il bénéficie d'une élection divine et qu'il en fait profiter son royaume, l'unité de foi obtenue grâce à lui et sa ferveur chrétienne. »5
Dès l’époque capétienne, le territoire se couvre de dizaines de milliers d’églises, autant de relais pour le pouvoir royal. Dans les discours des prêtres se glisse systématiquement, entre les enseignements spirituels, un message politique au service du royaume. Les sermons dominicaux deviennent ainsi une caisse de résonance pour la monarchie, et les églises, des actrices de la genèse nationale.
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À la recherche de l’unité
Il y a d’abord l’enjeu du territoire. Aux conquêtes des Capétiens qui commencent à repousser les frontières du royaume, à la gloire de la bataille de Bouvines, succèdent la guerre de Cent Ans et la défaite. Celle d’Azincourt (1415) voit une grande partie de la chevalerie française décimée par les Anglais. Cette période chaotique finira tout de même par renforcer le sentiment national car « d'un grand péril naît un renforcement »6. Il en va de même pour la résolution des guerres de Religion. Le prestige qui accompagne les victoires du jeune roi Henri IV finit de convaincre les sceptiques :
« Elles sont perçues comme autant de confirmations de l'élection divine de la France et de son nouveau roi. [...] Comme souvent, les neutres et les indécis, qui constituent la masse de la population, ont basculé dans le camp des vainqueurs. Ce moment historique voit l'ébauche d'une conscience nationale moderne. »7
Ce travail d'unification du pays se fait aussi par la loi et le droit avec la centralisation du pouvoir entre les mains du roi. On doit à Philippe le Bel le Parlement chargé des affaires judiciaires, la création du garde des Sceaux ou de la Chambre des comptes. Cette centralisation ira crescendo jusqu'à son apogée : le règne de Louis XIV et la monarchie absolue. Napoléon continue à jouer ce rôle d'architecte de la nation en créant la Cour des comptes, la Banque de France, le Conseil d'État, le Lycée, la Légion d'honneur ou encore le Franc germinal. Mais c'est sans doute le Code civil du 21 mars 1804 qui illustre le mieux cette volonté d'unification du droit :
« Il fusionne le droit écrit en vigueur au sud de la France et les coutumes du nord, en vertu du principe selon lequel il ne peut y avoir qu'un seul droit pour une nation. »8
La langue joue aussi son rôle de forge de la nation. La monarchie impose une langue commune au royaume avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 qui remplace le latin par le français dans tous les actes administratifs et les actes de justice. C'est pour renforcer son usage que Richelieu crée en 1634 l'Académie française. Les patois sont dans le viseur du pouvoir. Dès la Révolution, l'abbé Grégoire préconise leur éradication. La IIIe République le prend au mot et en interdit l’usage dans l'enceinte de l'école.
À la fin du XVIIe siècle, le destin du roi se mêle à celui de la nation et les racines territoriales, linguistiques et culturelles de ce que deviendra la France moderne poussent déjà sous son sol.
Du Roi-Nation à la nation politique
Cette période consacrant le Roi-Nation ne va pas durer. Les Lumières et la Révolution vont donner une nouvelle dimension à la nation. Elle est désormais celle des citoyens portée par un idéal universel où chacun devient son propre maître. Elle puise la source de son fonctionnement dans la philosophie des Lumières, Voltaire et Rousseau en tête, bien vite Panthéonisés (face à face .. hihi).
Ce nouveau paradigme consolide le sentiment national, mais rien n’est jamais définitivement acquis. La Terreur et les massacres des vendéens illustrent les difficultés d’une nation devenue politique. La France va devoir faire face à ses propres contradictions :
« Plusieurs tensions héritées, elles aussi, des Lumières se font jour : à l'intérieur, celle entre la volonté générale d'une part et le principe d'autonomie de l'individu de l'autre, mais aussi celle entre les idéaux et les discours universalistes et l'édification d'une nation particulière ; à l'extérieur, celle entre l'affirmation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et la volonté d'imposer rien moins qu'une conception du monde à ceux-ci. »9
Après l'aventure du Premier Empire, de la Restauration et de la monarchie de Juillet, le suffrage universel masculin invite neuf millions de Français à élire les députés constituants de la Seconde République en 1848 :
« Ces élections commencent à acclimater les Français à la vie politique nationale par leur fréquence, leur régularité, la modernisation rapide des campagnes électorales ou encore l'émergence de programmes nationaux. »10
Trois autres leviers vont être ensuite utilisés pour renforcer le sentiment national : l'histoire, l'armée et l'école.
Guizot, historien, ministre de l'Intérieur puis de l'Instruction publique du roi Louis-Philippe, fonde la Société de l'histoire de France. Il donne au château de Versailles son statut de musée de la nation historique pendant que Jules Michelet travaille à sa célèbre Histoire de France. Le Panthéon, redevenu temple des gloires nationales après avoir brièvement retrouvé sa fonction religieuse sous la Restauration, célèbre à nouveau ces grands hommes auxquels la patrie rend hommage.
Avec l'école, l'histoire, devenu roman national, va trouver un véhicule très efficace. Son rôle est de « civiliser les enfants, leur montrer les bienfaits de la République et de parachever l'unité nationale ». En 1881, Jules Ferry rend l'école primaire gratuite, laïque et obligatoire. Le manuel des jeunes écoliers présente une histoire idéalisée. Le Tour de France par deux enfants d'Augustine Fouillé, ne mentionne aucun des épisodes plus sombres de notre histoire comme la Terreur ou la Saint-Barthélemy. Un peu plus tard, Ernest Lavisse, maître de conférences à l'École normale supérieure, devient célèbre pour le manuel qui porte son nom :
« Le manuel propose une galerie de héros, le résistant Vercingétorix, les figures du peuple, Jeanne d'Arc et le Grand Ferré, le bon roi Henri IV et bien d'autres encore, ainsi qu'une synthèse nationale rassemblant les grandes heures de la monarchie et de la Révolution. »11
Au Panthéon, Clovis peint par Joseph Blanc, n’a jamais été aussi gaulois.
Enfin, à l’approche du premier conflit mondial, l’armée et la conscription complètent l’arsenal des instruments au service de la construction nationale en pleine rivalité guerrière avec l’Allemagne.
Conclusion
Dans son ouvrage, Éric Anceau montre que la naissance et le développement de la nation française résultent d’une succession de cycles : une sédimentation lente, suivie de cristallisations soudaines autour d’un enjeu partagé.
Mais l’histoire révèle aussi une redoutable créativité. Chaque époque a forgé de nouveaux instruments pour défendre, restaurer et pérenniser l’unité de la nation.
À bientôt !
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Alexandre
Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Lorraine. Spécialiste de l'histoire politique et sociale de la France et de l'Europe contemporaine, il a publié de nombreux livres dont Laïcité, un principe. De l'Antiquité au temps présent (2022), Napoléon III (« Texto », 2020) et Les Quarante-huitards et les autres. Dictionnaire des dirigeants de 1848 (2024).
Eric ANCEAU. Histoire de la nation française : des mythes des origines à nos jours. Paris : Editions Tallandier, 2025.
Cette citation et les suivantes. Ernest RENAN. Qu'est-ce qu'une nation ?. Paris : Flammarion, 2011, p 74.
Enquête Ipsos Global Trends, septembre 2024
Eric ANCEAU. Histoire de la nation française : des mythes des origines à nos jours. Paris : Editions Tallandier, 2025, p50.
Ibid.,p75.
Ibid.,p112.
Ibid.,p193.
Ibid.,p186.
Ibid.,p198.
Ibid.,p238.